Untermann, Jürgen,
Kummery, Hans, 1977, « Fünf Neuerscheinungen
zur lateinischen Epigraphik »,
in : Klio,, Beiträge zur Alten Geschichte, Heft
1, 1977, Band 59, 231-240:
le point 4., p. 237-239 est
consacré à l’authenticité de
HUS, Alain, in : REL 54, 1976, 501-502
Latinistes et étruscologues avaient
presque oublié que la fameuse fibule en or ou en électrum supposée avoir été
trouvée dans la tombe Bernardini de Préneste et
portant l’inscription Manios : med :
fhe : fhaked : Numasioi possédait un « pedigree » pour le
moins incertain et que, dès son apparition, de sérieux doutes s’étaient élevés
sur l’authenticité soit de la fibule, soit de l’inscription, soit de l’une et
de l’autre. L’auteur présente ici le dossier de ce qu’on pourrait appeler « l’affaire de la fibule de Préneste »,
depuis son apparition l’ors d’une assemblée de l’Institut allemand de Rome le 7
janvier 1887 jusqu’à nos jours. Il est d’une grande complexité que seul le
talent de M. Arthur E. Gordon parvient à rendre claire ; il se termine par
un impressionnant parallèle des arguments pro et contre (p. 57-58), que conclut
un sec « Results uncertain ».
Un très léger avantage est toutefois accordé à la thèse de l’authenticité. Mais
il ne sera possible de se prononcer qu’après un double examen technique et
linguistique de la fibule. La seule difficulté
linguistique, il est vrai, concerne la notation du phonème F par FH. Pour notre
part, elle nous semble aisément soluble si l’on songe qu’au VIIe siècle avant
notre ère, et encore au VIe, Digamma + H (ou H + Digamma) notait régulièrement
F en étrusque : la parole est ici aux spécialistes de l’écriture en Italie centrale archaïque. Le problème
technique relève d’une analyse des métaux et de l’orfèvrerie. Il est étrange
que, depuis quatre-vingt-dix ans, aucun des directeurs qui se sont trouvés à la
tête du Museo etrusco Pigorini, puis, à partir de 1960, de
Alain Hus
[Le plus intéressant (et amusant !) de l’histoire, c’est qu’en 1887, on ne connaissait pas cette graphie étrusque ancienne. On n’a parlé que le #H des inscriptions grecques, qui notait un [w] sourd, et non un [f] ou que du parfait osque à redoublement fefacid, qui, lui, ne présentait qu’un F, et non FH.]
Lejeune, Michel, in : RPh 50, 1976, 309-310
Cette petite brochure se lit avec autant d'intérêt que de plaisir. L'enquête de A. Gordon est menée avec le plus grand soin; si, après une recherche minutieuse de toutes les sources accessibles (publications scientifiques, correspondances, témoignages oraux, etc.), elle ne parvient qu'à des conclusions un peu hésitantes, du moins le lecteur se sentira-t-il sûr que A. Gordon n'a rien négligé, et tout pesé.
L'enjeu est d'importance: doit-on se fier à l'un des seuls témoignages archaïques de la langue latine, le plus ancien de tous (viie s.), celui de la fibule d'or conservée au Musée Pigorini de Rome? Elle entre dans l'histoire en janvier 1887, avec une communication de Helbig et Dümmler, qui fait sensation. Mais sa préhistoire demeure mystérieuse et, dès la même année, Lignana émet des doutes sur son authenticité; ainsi s'ouvre le procès dont nous avons, désormais, grâce à A. Gordon, le dossier complet.
Si l'objet est authentique, mais provient de quelque détournement au moment de la fouille d'une tombe prénestine, il n'est que trop naturel qu'auteur du vol et intermédiaires commerciaux aient volontairement brouillé les pistes. Mais il est possible aussi qu'il s'agisse d'un faux, les soupçons s'orientant alors vers l'officine de célèbres orfèvres, les frères Castellani; ici encore, le commerce de l'antiquariat ne pouvait que recourir à un camouflage. Au reste, le faux aurait pu ne concerner que l'inscription même, le support étant authentique; en ce cas, les examens microscopiques et les analyses auxquelles (on s'en étonnera, avec Gordon) on n'a jamais jusqu'ici procédé ne mèneraient à rien de décisif; tout au plus pourrait-on tirer quelques vagues présomptions, peut-être, du mode d'attaque du métal (gravure ou incision au burin) confronté aux techniques connues pour le viie s.
Reste à interroger l'inscription elle-même: compte tenu de ce qu'on savait avant 1887, à supposer qu'un linguiste eût consenti à se faire le complice silencieux d'une telle escroquerie scientifique, il eût fallu que ce fût un comparatiste de premier ordre (de l'envergure disons, d'un von Planta), et c'est là que la thèse du faux perd toute vraisemblance, à mon avis :
a) La fibule n’est pas le premier texte latin en alphabet latin. C’est le premier texte latin, mais utilisant l'écriture proprement étrusque, avant création et diffusion de l'alphabet latin. Situation parallèle à, ce que nous présentent certaines inscriptions vasculaires de Campanie (fin du ve ou début du ive s.), notant de l'osque en écriture étrusque, avant création et diffusion de l'alphabet osque (ainsi texte 101 et autres du recueil de Vetter). Cette situation même (qui explique le sens sinistroverse de l'écriture, les interponctions, l'emploi du digramme vh) était difficilement imaginable à l'époque. Le texte du Forum (boustrophédon; interponctué) n'était pas encore connu (il ne sera découvert qu'en 1899). Le seul document archaïque qu'on possédât (sinistroverse; en graphie continue) était le vase de Duenos (découvert en 1880) qui est, lui, en alphabet latin. Qui eût pu, à partir de là, forger le texte de la fibule en espérant qu'on le trouverait, graphiquement, plausible?
[Je me fais, un instant, l'avocat du diable, avec une suggestion que, dans le litige en question, on n'a pas encore faite, sauf erreur. Le latin archaïque a eu, à, côté de duenos > bonus, un autre adjectif, mānis ou mānus signifiant « bon ». Le faussaire supposé, démarquant duenos med feced en manios med vhevhaked aurait fait un clin d'œil au monde savant: « Allez-vous être capables de reconnaître ]e travestissement? Je vous tends une perche: la saisirez-vous? » – Je me suis posé la question plus d'une fois. Finalement, j'admets qu'il n'y a là, que coïncidence, à partir du moment où, graphiquement et linguistiquement, tout est cohérent dans un texte qu'on ne pouvait guère inventer à cette époque.]
De l'argumentation graphique, A. Gordon ne retient qu'un point: c'est seulement plus tard (en 1888 chez Deecke, en 1890 chez Lattes, en 1891 chez Pauli) qu'est, pour la première fois, enseignée la valeur [f] du digramme vh en étrusque (et en vénète) et ceci, d'ailleurs, manifestement grâce au transparent vhevhaked « fecit » de la fibule [le « faussaire» aurait rendu là, à l'étruscologie un signalé service !]. Voir, p. 52 sv., cette minutieuse et pertinente démonstration chronologique.
b) A. Gordon n'est pas
linguiste, semble-t-il, et, s'il ne néglige pas l'aspect linguistique du
problème, il opère là de seconde main. On ne sera pas aussi sensible que lui
aux arguments de V. Pisani en faveur du doute (p. 13-16). Même si un des
Castellani « avait en permanence sur sa table le recueil de Fabretti-Gamurrini
», il lui eût fallu du génie pour inventer numasioi
et vhevhaked.
Dernière remarque, anecdotique. A. Gordon affirme (p. 29) que si la plupart des éditeurs de ce texte célèbre ne font pas de réserves sur son authenticité, c'est par ignorance des doutes formulés par Lignana, Pinza, Curtis et Pisani. Dans un cas particulier, je puis tempérer cette affirmation. Alfred Ernout ouvre son Recueil par la fibule, sur l'authenticité de laquelle il ne formule de réserve dans aucune des éditions du livre; l'avant-propos de la troisième (1947) ne mentionne de discussions d'authenticité qu'à propos de la colonne rostrale. Or, il y a maintenant cinquante ans, je l'ai entendu dire, dans un cours de Sorbonne: « J'ai rencontré en Italie, avant la guerre, quelqu'un qui affirmait avoir connu personnellement Manios. » Avec ce sourire que nous aimions.
Michel LEJEUNE.