LNG 350: octobre 1993
"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était un chaos, et il y avait des ténèbres au-dessus de l'Abîme, et l'esprit de Dieu planait au-dessus des eaux." (Genèse, 1, 1-2, traduction de Emile Osty et Joseph Trinquet, dans: La bible, 1973, Paris, Seuil, 35).
Après avoir transcrit phonétiquement ce texte, identifiez, à l'aide de la commutation, les morphèmes employés dans ces deux phrases. On discutera de façon méthodique les cas qui font difficulté.
CRITIQUES: l'analyse scolaire traditionnelle n'est pas une analyse en morphèmes, c'est-à-dire en unités significatives minimales
pas de commutations, ou de fausses commutations hors contexte;
peu de discussions; et en cas de discussions, pas de discussions méthodiques;
des affirmations, guère de raisonnements et d'argumentations
pas toujours suffisamment rédigé
1. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
[o] au: Ce segment phonique est formellement insegmentable, puisqu'il s'agit d'un phonème, c'est-à-dire d'une unité minimale de seconde articulation. Il représente néanmoins deux morphèmes, comme le montrent les commutations:
au commencement... ~ à ce commencement... («à l'époque qui commençait» ~ «à cette époque qui commençait» au commencement... ~ à un commencement... («lorsque c'était le commencement»
~
«lorsque c'était un commencment» qui situent dans le temps, comme au commencement, mais où commencement est déterminé non plus par un article défini dit traditionnellement contracte, mais respectivement par un démonstratif et par un article indéfini, ainsi que les commutations:
au commencement... ~ après le commencement... («à l'époque qui commençait»
~ «après l'époque qui commençait» au commencement... ~ dès le commencement... («à l'époque qui commençait» ~ «à
partir de l'époque qui commençait» où la détermination sémantique est la même que dans au commencement, mais où la situation dans le temps change.
On peut donc conclure de ces deux sortes de commutations que le segment au représente deux morphèmes, l'un qui correspond à un déterminant et appartient au même paradigme que ce et un des deux premières commutations, l'autre qui correspond à une préposition, qui est opposable à après ou à dès, comme dans les dernières commutations. De fait, ce segment au, où les grammaires scolaires voient une contraction de l'article défini le et de la préposition à, est en distribution complémentaire précisément avec à + le, comme on le voit si on fait commuter le nom commencement avec un nom masculin qui commencerait par une voyelle:
au commencement... ~ à l'achèvement..., au commencement... ~ à l'horizon, etc. ou si l'on fait précéder le nom commencement d'un adjectif à initiale vocalique: à l'inoubliable commencement..., à l'inévitable commencement..., etc. On dira donc d'une part que /o/ est un amalgame, c'est-à-dire qu'il représente deux morphèmes différents qui ont amalgamé leur signifiant en un tout formel dont on ne peut distinguer ce qui est le signifiant du premier morphème de ce qui est le signifiant du second morphème, et d'autre part que cet amalgame est une variante combinatoire des deux morphèmes à et l', avec lesquels il est en distribution complémentaire, à l' apparaissant devant nom masculin à initiale vocalique, et au devant nom commun à initiale consonantique. [k
mãs + mã] commence-ment: synthème qui combine le lexème verbal commencer et le suffixe -ment: au commencement... ~ à l'achèvement..., au commencement...~ au dénouement..., etc.
Mais le suffixe -ment ne commute pas, ce qui, à vrai dire, n'est pas rare quand il s'agit d'un morphème fonctionnel. Il semble bien toutefois être le support d'une certaine signification, comme on peut le constater en parcourant les dictionnaires:
"commencement: Le fait de commencer, ce qui commence" (Robert), "ce qui forme la première partie d'un ensemble, ce qui doit être suivi d'autre chose" (Dubois, DFC) "achèvement: Action d'achever; fin" (Robert), "Action de mener à son terme, de terminer" (Dubois, DFC) "dénouement: ce qui termine, dénoue une intrigue" (Robert)
Il n'est donc pas impensable d'attribuer comme signifié à l'éventuel morphème -ment d'une combinaison V+ment: «ce qui»+«V», c'est-à-dire «l'action qui» ou, par extension métonymique, «le résultat de l'action qui».
De fait, sans qu'il s'agisse vraiment d'une commutation (car on ne trouverait pas de contexte où les deux mots seraient interchangeables), on pourrait opposer le commencement, qui signifierait «ce qui commence», et le commençant, qui, lui, signifie «celui qui commence».
Tout ceci veut dire que la suite de phonèmes commencement est ce qu'André Martinet a appelé un synthème, c'est-à-dire une combinaison figée de morphèmes qui, à cause de ce figement, fonctionne comme un seul morphème. On peut en effet dire au grand commencement comme au grand début, où la combinaison de morphèmes commence-ment a la même propriété syntaxique de recevoir une épithète que le morphème unique début, avec lequel du reste il est parfaitement commutable. On peut aussi dire au commencement du monde comme au début du monde, où le syntagme du monde est complément du synthème nominal comme il est complément de nom.
[djø] Dieu: lexème nominal.
[kRe + a] cré-a: lexème verbal «créer», c'est-à-dire «faire exister», et morphème temporel de passé simple qui a pour signifiant /a/ et pour signifié «passé factuel», comme le montrent les deux séries de commutations:
...créa le ciel... ~ ...pensa le ciel..., ...créa le ciel... ~ ... inventa le ciel...
et:
...créa le ciel... ~ ...créait le ciel..., ...créa le ciel... ~ ... crée le ciel...
Faut-il dire que le segment /a/ est en réalité le support formel d'un signifié complexe de «passé factuel de 3ème personne du singulier», comme le suggérerait la grammaire scolaire, qui voit dans ce -a final une désinence de 3ème personne du singulier de passé simple. Cela semble difficile dans la mesure où l'on retrouve ce /a/ à d'autres personnes du singulier ou du pluriel du passé simple comme tu créas, nous créâmes et vous créâtes, ce qui implique que ce /a/ n'est que le signifiant d'un morphème de passé simple. Faut-il dans ces conditions ajouter un morphème à signifiant zéro comme support d'un éventuel signifié de «3ème personne du singulier»? Non, car d'un part on ne saurait préciser, dans ce contexte, la valeur significative exacte de cette appellation grammaticale traditionnelle; et d'autre part il est impossible de faire commuter cette prétendue 3ème personne du singulier avec une autre prétendue personne:
*...Dieu créas le ciel, *...Dieu créâmes le ciel, *...Dieu créèrent le ciel sont également inacceptables en français. Si on a l'habitude de dire que créa est la 3ème personne du singulier, c'est parce que cette forme est identique à il créa, qui, elle, signifie effectivement une 3ème personne, c'est-à-dire une personne autre que la première, le locuteur, et la deuxième, l'interlocuteur, mais où c'est il (ou éventuellement /il... ø/) et non -a qui est le signifiant de ce morphème de 3ème personne. Une telle confusion entre une forme dite de 3ème personne et une signification de 3ème personne est un héritage malheureux des grammaires latines, qui ne distinguent pas ces deux réalités, parce que il créa et créa se disent, ou plutôt s'écrivent, tous les deux en latin creauit, comme ils se diraient tous les deux creè, en provençal (cf. Au coumençamen Diéu creè lou cèu, d'après F. Mistral; et le passé simple amère, amères, amè), où:
éu creè
signifierait «lui, il créa», et non pas «il créa». Cette confusion entre forme et sens est en outre confortée en français même, par le fait que le morphème de personne a souvent un signifiant discontinu, dont la première partie est avant la forme verbale et la seconde, à la fin de la forme verbale. C'est évident dans:
nous cré-ons, nous créi-ons mais c'est aussi le cas, à l'écrit comme à l'oral lorsque la liaison est faite dans:
il créai-t, ils créai-ent souvent mal découpé en il, pronom personnel, et -ait, désinence de 3ème personne d'imparfait, ce qui invite assez naturellement à voir, à tort, dans le -a de créa une désinence de 3ème personne de passé simple. Le /a/ de:
Dieu créa le ciel
est donc bien le signifiant du seul morphème de passé simple, dont le signifié est en réalité quelque chose comme «passé factuel», et non pas le signifiant d'un éventuel morphème dont le signifié serait «3ème personne passé factuel». On peut continuer à dire que la forme créa est la 3ème personne du singulier du passé simple du verbe créer, à condition de bien voir que seuls les derniers mots de cette définition ont une signification morphématique, cette forme ne contenant que deux morphèmes, à savoir le lexème verbal /kRé/ et le morphème de passé simple /a/. Les premiers mots n'ont qu'une portée morphologique et veulent dire que l'accord morphologique du verbe avec son sujet n'ajoute aucune marque formelle après le morphème de passé simple, puisque la forme verbale se termine avec le signifiant /a/ du morphème de passé simple.
La situation serait différente dans la phrase:
Dieu, il créa le ciel
où la prétendue 3ème personne du singulier correspondrait alors effectivement à un morphème, dont le signifiant serait précisément /il/ et non pas le -a de la désinence, et le signifié le contenu du SN que ledit morphème personnel reprend anaphoriquement.
La grammaire traditionnelle utilise en plus deux autres catégories pour définir la forme verbale créa, en précisant que c'est la 3ème personne du singulier de l'indicatif passé simple actif du verbe créer. Faut-il voir dans le mode indicatif et dans la voix active de cette définition complète deux morphèmes qui auraient forcément un signifiant zéro, puisqu'il n'y a plus aucun segment de disponible dans la séquence phonique [kRea], une fois que l'on a identifié le lexème verbal /kRe/ et le morphème de passé simple /a/? Il est vrai qu'en face du passé simple actif créa, il existe un passé simple passif fut créé, qui ne pourrait pas commuter dans la phrase:
Dieu créa le ciel et la terre car la présence du complément d'objet le ciel et le terre rend impossible l'apparition d'un passif. Mais dans certains cas particuliers le passif pourrait fort bien commuter avec l'actif:
César vit ~ César fut vu; Pierre aima ~ Pierre fut aimé; etc. On admettra que l'actif correspond alors non pas à un morphème à signifiant zéro, mais à une absence de morphème, comme le suggère déjà fortement le fait que soient considérés comme à l'actif les verbes qui ne connaissent pas de passif, tels être, venir, dormir, etc. et donc ne sauraient avoir des oppositions significatives de voix. Il est certain que l'indicatif, dans créa, ne correspond pas non plus à un morphème à signifiant zéro, dans la mesure où en face de l'indicatif passé simple il n'existe, en français, ni subjonctif passé simple, ni impératif passé simple. On voit donc que les catégories traditionnelles d'indicatif ou d'actif sont simplement des étiquettes pour désigner des formes verbales qui ne contiennent pas de morphème de mode ou pas de morphème de voix.
[l] ou [l
] le: morphème grammatical de définitude (=Déterminant défini), qui présente deux allomorphes, à savoir /l@/ devant une initiale consonantique et /l/ simplement devant une initiale vocalique (cf. [l abim]).
[sjεl] ciel: lexème nominal qui a la particularité morphologique d'entraîner une variante à signifiant discontinu pour le morphème de pluralité qui se trouve dans son contexte. Alors que la suite de morphèmes:
Défini + Pluralité + eau
correspond aux signifiants respectifs:
/l + ez o/ (l-es eaux)
la suite de morphèmes:
Défini + Pluralité + ciel
correspondra à une séquence:
/le sjø/
où le morphème de pluralité a le signifiant discontinu:
/e(z)...ø ←(εl)/ avec un second segment qui remplace la suite finale /εl/ du signifiant du morphème ciel par /ø/, et que de ce fait on appelle une forme de remplacement. Ce pluriel est noté orthographiquement par s... ux dans les cieux. Le second segment du signifiant discontinu de
pluriel peut être supprimé par recherche poétique:
"Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si
mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes" (Baudelaire,
"L'invitation au voyage") ou lorsque le morphème ne signifie pas "espace infini qui s'étend au-dessus de nos têtes" (Dubois, DFC, 239), mais est un terme de peinture qui désigne "la partie d'un tableau qui représente le ciel" (Littré, 934).
[la] la: variante du morphème de définitude «le» dans le contexte d'un nom morphologiquement féminin. Cette variante ajoute au signifiant normal de ce morphème un segment [a] dit traditionnellement de féminin, qui n'est pas une unité significative de féminin; car le féminin n'est pas choisi en tant que tel par le locuteur par opposition à quelque chose d'autre. Il est impossible en effet de faire commuter le segmemt -a de féminin de la séquence:
...et l-a terre... ~ *...et l-e terre. Le féminin est imposé au locuteur français par le choix qu'il a fait du lexème terre. Il lui est impossible de dire *le terre. Mais s'il avait choisi le mot continent ou sol, il n'aurait pas pu dire *la continent ou *la sol. On ne peut donc pas dire que la commute avec le. En réalité, la alterne avec le, c'est-à-dire apparaît à la place de le dans certains contextes particuliers. Cela veut dire que la et le sont des allomorphes d'un même morphème de définitude. Le genre grammatical n'est donc pas une unité significative, c'est seulement une caractéristique morphologique, qui est une propriété formelle des noms. Dire qu'un nom est féminin, cela ne veut pas dire qu'il y a dans sa signification quelque chose comme un trait sémique «femelle», mais qu'il ne se combine qu'avec une certaine classe d'allomorphes de déterminants et d'adjectifs. Ainsi le nom terre n'est combinable qu'avec les articles la, une et de la, ainsi qu'avec les adjectifs belle, grande, petite, tandis que le nom continent n'est combinable qu'avec les articles le et un ou les adjectifs beau, grand et petit.
2. Or la terre était un chaos, et il y avait des ténèbres au-dessus de l'Abîme, et l'esprit de Dieu planait au-dessus des eaux.
[
R] Or: morphème grammatical connecteur de phrase.
[et + ε + t] ét-ai-t: lexème verbal «être», combiné avec le morphème "temporel" d'imparfait, qui a pour signifiant / ε/ et pour signifié «non actuel». Des paires minimales comme:
...était... ~ ...devenait...(= «se mettait à être»), ...était... ~ ...semblait... (= «avait l'air
d'être») permettent d'identifier un premier morphème de signifiant /et/ et de signifié «consister en». On ne peut pas faire commuter de façon facilement interprétable le /ε/ d'imparfait, car un changement de temps serait accompagné d'un changement de radical (cf. ét-ait, f-ut, se-ra). Mais il serait facile de proposer des commutations, si on remplaçait était par semblait, qui contient le même segment d'imparfait que lui
/la tεR sãblεt 9 kao/ ~ /la tεR sãbla 9 kao/. Quant au -t final, c'est normalement le second élément du signifiant discontinu de «personne 3», c'est-à-dire «personne autre que le locuteur et que l'interlocuteur»: on le trouverait par exemple dans /il etεt ãkOR .../. Mais ici ce -t, considéré traditionnellement comme une désinence (c'est-à-dire une finale) de troisième personne parce qu'il est couramment associé au pronom il de troisième personne, est un segment morphologique d'accord du verbe avec son sujet. Il est obligatoire en français, dès que l'on a un sujet et si ce sujet n'est pas au pluriel. N'étant pas choisi en tant que tel, il ne saurait être un morphème. On dira qu'il forme avec l'ensemble des morphèmes de l'expression verbale qui le précède un allomorphe de cette expression verbale, allomorphe qui apparaît dans le contexte d'un sujet qui ne contient pas le morphème de pluralité. Il faut préciser que ce segment morphologique n'est pas réalisé, quand il se trouve devant une initiale consonantique: [il etε syR lez o] en face de [il etεt odsy dez o]. Il s'agit donc d'un t dit latent. Lorsqu'il est réalisé phonétiquement, les grammaires parlent alors de liaison. On remarquera qu'à l'imparfait, l'accord fait apparaître, à l'oral, un même segment /t/ latent, quand le sujet est au pluriel que lorsqu'il n'est pas au pluriel, mais que ce même segment est noté graphiquement par la seule lettre -t, au singulier, et par les trois lettres -ent au pluriel.
] un: morphème grammatical de non définitude.
[kao] chaos: lexème nominal qui a pour signifié «grand désordre» (Dubois, DFC, 218)
[il jav + ε] il y av-ai-t: le prétendu pronom y ne peut pas commuter seul. De fait dans l'énoncé où il se trouve c'est l'ensemble y av-que l'on pourrait éventuellement faire commuter en le remplaçant par exemple par tomb-ou plan-ou régn-:
il y avait des ténèbres/il planait des ténèbres/il régnait des ténèbres. Mais même le il de tous ces énoncés ne peut pas commuter; on le verrait bien si on avait le présent; car alors
Il y a des ténèbres au-dessus des eaux commuterait avec
Voici des ténèbres au-dessus des eaux. Donc /iljav/ est le signifiant d'un morphème verbal que l'on peut qualifier d'impersonnel, comparable à il pleut, et qui permet, comme voici ou c'est, de faire une phrase d'existence. Mais il a l'avantage par rapport à voici de pouvoir recevoir les morphèmes temporels des verbes, comme ici le morphème d'imparfait, et donc d'être un verbe, même défectif, ce qui n'est pas le cas de voici.
Il importe de distinguer ce morphème verbal /iljav/, qui du reste se prononce couramment [jav], de la combinaison de morphèmes homonyme que l'on aurait par exemple dans:
Pierre va en Suisse: il y a de gros intérêts,
où il et y sont des morphèmes pronominaux construits avec le morphème verbal «avoir»,
comme le montrent les commutations:
il y a de gros intérêts ~ tu y as de gros intérêts; il y a de gros intérêts ~ il y détient de
gros intérêts; il y a de gros intérêts ~ il a ici de gros intérêts.
[de] de-s: plutôt l'article partitif que l'article indéfini au pluriel, article partitif au pluriel qui n'existe qu'avec des noms toujours au pluriel, comme c'est le cas de ténèbres. Le prétendu article partitif (du, de la, des) est décomposable en deux morphèmes: à savoir le morphème prépositionnel de, et l'article défini, comme le montrent les commutations:
il y avait des/les tenèbres; manger du/le pain; etc.
S'il s'agissait de l'article indéfini comme dans:
Il y avait des chiens/un chien il contiendrait le même morphème de pluralité /e(z)/ que l'article défini les, et une variante /d/ de l'article indéfini un. Et s'il s'agissait de ce que les grammaires scolaires appellent la forme contracte de l'article défini pluriel les et de la préposition de, que l'on a par exemple dans:
la vie des parisiens, les thèses des structuralistes /e(z)/ serait alors une variante amalgamée du morphème de définitude et du morphème de pluralité.
Dans le prétendu article partitif des, le morphème prépositionnel /d/ est suivi du segment /e/, qui devrait être aussi un amalgame de l'article défini /l/ et du morphème de pluralité. Mais, dans la mesure où son pluriel ne peut pas commuter avec un singulier, ce n'est en fait qu'une variante de l'article défini /l/, variante qui apparaît dans le contexte des noms qui sont morphologiquement toujours au pluriel comme: ténèbres. Mais on pourrait aussi dire que ces deux morphèmes amalgament leur signifiant, dans la mesure où il est tentant de voir un amalgame dans l'article contracte du, sur le modèle de l'article contracte au, où il est obligatoire de parler d'amalgame. Ceci veut dire que toutes les formes contractes de l'article sont peut-être à interpréter comme des amalgames.
[tenεbR] ténèbres: lexème nominal qui est morphologiquement féminin et pluriel. Le pluriel n'y est pas un morphème, dans la mesure où il ne commute pas avec le prétendu singulier:
l-es ténèbres / le *ténèbre.
[o d
sy d
] au-dessus de: on peut apparemment faire commuter la préposition contenue dans au-et le nom dessus:
vers le dessus des eaux, près du dessus des eaux,
au milieu des eaux, au centre des eaux, au bout des eaux. On pourrait envisager d'analyser la paire minimale:
au-dessus des eaux ~ au-dessous des eaux comme opposant la préposition [su] à une variante [sy] de la préposition sur. Mais comme de-ne commute pas devant [sy] ou [su], il est préférable d'expliquer cette paire minimale par l'opposition entre les deux noms dessus «partie supérieure» et dessous «partie inférieure».
Toutes ces commutations inviteraient à faire de au-dessus de un synthème, c'est-à-dire un groupe de morphèmes qui fonctionnent comme un seul morphème; il commute en effet avec les prépositions sur et dans. C'est ce qui explique que les grammaires parlent alors de locution prépositive, c'est-à-dire d'un ensemble de mots qui fonctionne comme le mot unique qu'est une préposition.
Mais l'article contenu dans au-ne semble pas pouvoir commuter, comme le montre le caractère inacceptable de:
*à un dessus des eaux, *à ce dessus des eaux. Et d'autre part le sens de au-dessus de paraît être celui de sur avec en plus un sème de «non contact». Il est dans ces conditions préférable de dire que au-dessus de est une préposition, morphologiquement composée certes, mais non pas morphématiquement complexe. Ceci veut dire que dans au dessus des eaux, le nom eaux n'est pas un complément du nom dessus, mais le régime d'une locution prépositionnelle.
[l abim] l'Abîme: le morphème grammatical de définitude /l/ et le lexème nominal /abim/, qui est morphologiquement masculin. Si on parle d'élision, cela n'a de sens qu'à propos de la notation graphique, selon laquelle l'article s'écrit normalement le et perd son -e final devant voyelle. Au niveau phonique on peut dire soit que le morphème de définitude présente un allomorphe /l/ devant voyelle et un allomorphe /l
/ devant consonne, soit qu'il a un signifiant invariant /l/, qui se réalise phonétiquement tel quel devant voyelle mais qui peut présenter une réalisation phonétique [l
] devant consonne, sans que celle-ci soit obligatoire. Tout dépend de la description phonologique que l'on propose pour le e dit caduc ou le schva.
[l εspRi d
djø] l'esprit de Dieu: morphème de définitude /l/, lexème nominal /εspRi/, morphème fonctionnel /d/ indiquant la fonction de complément de nom, qu'il est impossible de faire commuter, et lexème nominal /djø/, qui est morphologiquement masculin et qui fonctionne ici comme un nom propre, c'est-à-dire en fait comme un SN.
[plan + ε +t] plan-ai-t: lexème verbal «planer», et morphème "temporel" d'imparfait. Le -t final est une marque morphologique d'accord.
[o d
sy dez o] au-dessus d-es eau-x: morphème prépositionnel, plus variante dans le contexte de la préposition /d/, qui amalgame le signifiant du morphème de définitude et du morphème de pluralité, et plus lexème nominal «eau», qui est morphologiquement féminin. Au niveau orthographique, le morphème de pluralité correspond à deux marques : le -s de des et le -x de eaux