7 NOVEMBRE 1994
Genèse, 1, 3-4: "Dieu dit: «Que la lumière soit», et la lumière fut. Dieu
vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres"
(traduc-tion de: Émile Osty et Joseph Trinquet, La bible, 1973, Paris,
Seuil, 35).
1. Faire, à l'aide de la commutation, l'analyse en morphèmes des deux phrases
transcrites phonétiquement, en expliquant et discutant les commutations proposées.
2. Relever tous les morphèmes susceptibles de présenter des variantes, et
préciser les conditions de la variation.
Dieu dit: «Que la lumière soit», et la lumière fut.
djø di k@ la lymjεR swa e la lymjεR fy djø d-i k@ la lymjεR swa e la lymjεR f-y dieu dire-PFac volonté la lumière être et la lumière être-PFac
CORRECTION
lumière / allumer ne représentent pas une paire minimale, et ne commutent nullement entre eux, même s'ils contiennent tous les deux un segment -lum-, parce que le premier mot est un nom, et le second un verbe. On ne peut pas remplacer lumière de
Que la lumière soit! par allumer: *Que la allumer soit!
[djø di k@ la lymjεR swa e la lymiεR fy] [djø vi k@ la lymjεR etε bøn e djø separa la lymiεR de tenεbR]
Dieu: Des commutations comme: [djø / pjεR di k@...] «Dieu / Pierre dit: ...» [djø / jawe di k@...] «Dieu / Yaveh dit: ...» [djø / pRomete di k@...] «Dieu / Prométhée dit: ...
entraînent un changement partiel de signification qui amène à associer la signification «Dieu» ou, si l'on veut, «être surnaturel» et le signifiant [djø]. Si c'est une unité significative minimale, on comprend qu'il puisse être réutilisé dans un autre contexte, comme dans:
Dieu vit que la lumière était bonne et Dieu sépara la lumière des ténèbres
lumière: Des commutations comme: [k@ la lymjεR / vi swa] «Que la lumière / vie soit» [k@ la lymjεR / motaJswa] «Que la lumière / montagne soit»
–ce dernier exemple est préférable à un exemple comme:
[k@ la lymjεR / mεR swa] «Que la lumière / mer soit» où la différence partielle de signifiant est apparemment seulement entre [lymj] et [m], et où il faudrait donc discuter et expliquer– invitent à associer le signifié «lumière», c'est-à-dire «ce qui éclaire et rend visible les choses» au signifiant [lymjεR]. Mais faut-il décomposer ce signe linguistique en signes plus petits, comme pourrait le suggérer le fait que la grammaire traditionnelle reconnaîtrait un suffixe -ière dans la terminaison de ce mot? De fait, il n'est pas impossible de proposer des commutations apparentes comme:
Que la lumière / fermière / garçonnière / le bonbonnière soit. Mais il semble difficile d'attribuer à cet éventuel suffixe -ière une signification qui soit la même dans les quatre unités significatives envisagées, la bonbonnière étant une "petite boite à bonbons" (Nouveau petit Robert), la garçonnière un "petit appartement de célibataire, servant souvent de lieu de rendez-vous" (Nouveau petit Robert), et une fermière une "femme qui exploite un domaine agricole". Et en outre il est impossible de faire commuter ce segment -ière après lum-, auquel on ne voit vraiment quel signifié serait associable. Le mot lumière correspond donc en français moderne à un seul morphème.
On pourrait être tenté d'identifier le segment initial lum- de lumière avec celui que l'on trouve dans luminaire ou illumination, dans la mesure où ces trois termes semblent avoir quelque en commun au niveau de la signification. Mais il importe de bien voir que des éventuelles paires comme:
Que la lumière / l'illumination soit
Que la lumière / luminosité soit ne sont pas des preuves, bien qu'entre les éléments remplacés il semble y ailleurs quelque chose de commun et de différent au niveau formel et au niveau du sens, puisque luminosité signifie «qualité de ce qui émet de la lumière» et illumination «lumière soudaine qui se fait dans l'esprit» (Le Nouveau Petit Robert). La première paire en effet est loin d'être minimale, puisqu'elle remplacerait le suffixe -ière par les deux segments il- et -mination, auquels il faudrait pouvoir associer un ou deux signifiés, ce qui semble impossible. Quant à la seconde, elle remplacerait soit -ière par -inosité, soit -ère par -nosité, éventuels suffixes auxquels on serait bien en peine d'attribuer un signifié, faute de pouvoir les retrouver ailleurs; ou plutôt peut-être elle remplacerait d'une part lum- par lumin- et d'autre part -ière par -osité, ce qui ne pourrait être considéré comme une paire minimale que si l'on avait par ailleurs déjà établi ce qu'il faut prouver, à savoir que l'éventuel radical lum-est la même chose que l'éventuel radical lumin-.
En fait, s'il y a un rapport entre lumière et le suffixe -ière ou les mots de la famille de luminaire, illumination, c'est au niveau éthymologique ou historique. Le mot lumière est en effet issu du mot latin l#umin-#ari-a , adjectif neutre pluriel substantivé qui, en latin chrétien et populaire, signifiait "choses qui illuminent", et qui était alors effectivement un dérivé en -#arius du mot lumen, min-is «lumière».
et: et / puis / donc la lumière fut; et / puis / alors Dieu sépara la lumière des
ténèbres. sépar-a: Dieu sépara / ôta / enleva / priva la lumière des ténèbres. ténèbres: Dieu sépara la lumière des ténèbres / nuits / cieux.
2. PROBLÊME DU GENRE ET DU NOMBRE: [la] la: (article dit féminin): Dans: la lumière était bonne
une commutation comme la ~ une montre que l'article dit défini la correspond à un morphème. Mais cet article semble composé, ajoutant apparemment à son signifiant normal /l/ un segment [a], qui le fait qualifier traditionnellement de féminin. Faut-il donc segmenter la en deux morphèmes, un éventuel morphème /l/ de «définitude» et un éventuel morphème /a/ de «féminin»? Remarquons d'abord que l'éventuel signifié de «féminin» serait difficile à définir. il ne saurait correspondre au sexe dit féminin, dans la mesure où la lumière, n'étant ni une femme ni un homme, n'est pas sexuée. Ce ne pourrait donc être qu'un signifié grammatical. Mais en réalité le prétendu genre grammatical féminin de l'article n'est nullement choisi en tant que tel par le locuteur français de préférence à quelque autre genre. Il lui est imposé par le choix qu'il a fait ou va faire du lexème lumière. Il est en effet impossible de dire
*le lumière était bonne en faisant commuter le féminin de l'article avec le masculin. On ne peut donc pas prétendre que la commute avec le. En fait la alterne avec le, c'est-à-dire apparaît à la place de le dans certains contextes particuliers. Le segment /a/ n'est donc pas une unité significative de féminin; il fait seulement partie du signifiant du morphème de «définitude». Le segment /la/ est donc très exactement une variante du morphème de définitude "le" dans le contexte d'un nom morphologiquement féminin.
On distingue en effet en français deux sous-classes morphologiques de noms qu'on appelle les noms masculins et les noms féminins, selon les formes d'accord morphologique qu'ils entraînent pour les morphèmes qui sont en relation syntaxiqque avec eux. Sont masculins les noms qui sont compatibles avec les formes le, mon, ce, cet, etc. de déterminant, et féminins ceux qui sont compatibles avec les formes la, ma, cette, etc. Le genre n'est donc qu'une propriété morphologique des lexèmes nominaux, propriété qui n'est pas apparente dans le signifiant du nom, mais qui n'impose pas moins la forme des morphèmes qui sont en rapport syntaxique avec ce nom.
Les genres furent appelés masculin et féminin parce qu'ils étaient souvent associés à des lexèmes désignant des êtres animés respectivement mâles et femelles:
un homme, une femme; un frère, une soeur; un père, une mère; un âne, une ânesse; un comte, une comtesse; etc. Il leur arrive même d'être le signifiant d'un morphème de sexe, le féminin ayant alors la même signification que le morphème de signifiant -esse:
un ami, une amie; un élu, une élue; un martyr, une martyre; un ours, une ourse; etc.
Les grammaires complèteraient volontiers cette liste, en citant par exemple un chat, une chatte; un lion, une lionne; un gamin, une gamine; un fermier, une fermière; un spectateur, une spectatrice; etc.
Mais ces couples sont délicats à décrire, suivant la description que l'on donne des adjectifs, auxquels ces couples ont bien l'air de ressembler. Si, comme sont tentées de le faire les grammaires scolaires, on dit que les féminins chaude, grasse ou bonne ajoutent un suffixe de féminin (suffixe dont il faudra préciser le statut morphématique) au masculins chaud, gras ou bon, à savoir un -e avec ou sans redoublement de la consonne finale, à l'écrit, mais en fait, à l'oral, un segment consonantique /d/, /s/ ou /n/, suivant les cas, on analysera de la même façon les couples de lexèmes, en admettant que les noms féminins sont formés de deux morphèmes, le premier étant un morphème lexical et le second un morphème de sexe «femelle», soit:
/Sa + t/, /liO + n/, /gamE + n/, /fεRmje + R/, /spektatŒR + tRis ← (tŒR)/. Mais si pour simplifier la morphologie des adjectifs, on dérive, comme sont tentés de le faire bon nombre de linguistes, le masculin du féminin, en disant que le signifiant premier de ces lexèmes est en fait la forme du féminin, à savoir:
/Sod/, /gRas/, /bOn/ et que le masculin correspond à une marque /C/, qui supprime la consonne finale du signifiant normal du lexème:
/Sod + C/ = [So], /gRas + C/ = [gRa]/, /bOn + C/ =[bO] alors on doit dire que le trait sémique «femelle» fait partie des lexèmes dont le signifiant est:
/Sat/, /liOn/, /gamin/, /fεRmjeR/, /spektatRis/ exactement comme il fait partie du signifié des lexèmes:
femme, jument, vache, etc. et que la marque /C/ est le signifiant d'un morphème dont le signifié est non pas «mâle», mais «-femelle», lequel signifié annule donc le sème «femelle» des lexèmes, ce qui donne finalement des lexèmes de signifiant:
/Sa/, /liO /, /gamE /, /fεRmje/, /spektatŒR/ qui sont sémantiquement non marqués au point de vue du sexe. De fait le lexème chat par exemple peut, suivant les contextes et les situations, désigner soit un petit animal d'intérieur mâle soit simplement un représentant quelconque, c'est-à-dire mâle ou feemelle, de la famille des félidés.
[bøn] bonne (adjectif au féminin): On tiendra le même raisonnement que pour l'article la à propos de l'adjectif au féminin de:
la lumière était bonne où la forme bonne de l'adjectif est imposée par le choix lexical du nom lumière, morphologiquement féminin, dont l'adjectif est l'attribut. Les grammaires scolaires parlent alors assez justement d'un accord en genre de l'adjectif attribut avec le sujet dont il est l'attribut. Et l'accord est un phénomène purement morphologique, que le locuteur est obligé de respecter, et pour lequel il n'a pas le choix. En termes de morphèmes cela veut dire que [bøn], à l'écrit bonne:, est la variante du morphème adjectival de signifié "bon" dans le contexte d'un sujet morphologiquement féminin. Si on remplace le lexème lumière par le lexème jour, alors les règles d'accord morphologique obligeront à dire:
le jour était bon.
les lumières: Il est possible de faire commuter l'article la ou le tout en gardant
le signifié de «définitude», ce qui donne: [la / le lymjεR etε bOn] «la /les lumière(s) étai(en)t bonne(s)» [l@/ le ZuR etε bO] «le /les jour(s) étai(en)t bon(s)».
On se trouve alors, à l'intérieur de la «définitude», en face d'une opposition entre la pluralité et la singularité. Et il est clair que le segment /e/, mis en évidence par ces deux paires minimales, est à considérer comme le signifiant d'un morphème de «pluralité». Mais faut-il reprendre l'analyse de la ou le, et dire qu'à ces allomorphes du morphèmes de définitude, il convient ajouter un morphème de «singularité» à signifiant zéro, ou bien que ce sont des allomorphes amalgamés et du morphème de «définitude» et du morphème de «singularité»?
En fait, dans la mesure où le prétendu singulier ne signifie l'unicité que lorsqu'il est directement ou indirectement opposé à un morphème de «pluralité», mais qu'il peut fort bien aussi désigner plusieurs individus, en ayant une valeur que les grammaires qualifient de collective, comme dans:
je voyais s'enfoncer sous l'horizon la lumière de Venise (qui aurait le même référent que la phrase de Chateaubriand: "je voyais s'enfoncer sous l'horizon les lumières de Venise "(Chateaubriand, Itinér. 1ère partie) le sang enivre le soldat (Bossuet, Condé)
ou une valeur dite générique, comme dans: Le chat est un animal d'intérieur ce qui est vrai de tout chat, et par conséquent de tous les chats, il est préférable d'admettre que le prétendu singulier correspond à l'absence du morphème de «pluralité» plutôt qu'à la présence d'un éventuel morphème de «singularité».
Ceci veut dire que les segments formels [la] et [l(@)] ne sont que des allomorphes du seul morphème de «définitude».
les ténèbres: le lexème /tenεbR/ est ce que les grammaires appellent un plurale tantum, c'est-à-dire un mot qui est toujours au pluriel, comme le prouve le fait qu'il ne soit jamais possible de faire commuter les ténèbres avec *le ténèbre. Il en découle que le lexème /tenεbR/ est morphologiquement non seulement féminin, mais aussi pluriel et que l'on doit dire:
les épaisses ténèbres où les n'est pas la combinaison des deux morphèmes de «définitude» et de «pluralité», mais simplement un allomorphe du morphème de «définitude» dans le contexte d'un lexème nominal qui est un plurale tantum.
[de] des : Dans Dieu sépara la lumière des ténèbres le segment des est la combinaison de la préposition "de" et de l'article défini au pluriel. Ce n'est pas l'article partitif (sauf si on décrit ce dernier comme étant précisément la combinaison de la préposition de et de l'article défini) ni l'article indéfini. Car le verbe séparer se construit avec deux compléments de verbe, dont le second est introduit par la préposition de . De fait on sépare quelque chose (1er complément) de quelque chose d'autre (2ème complément). Comme cette préposition de indique la fonction de second complément de verbe du constituant les ténèbres, il n'est pas possible de le faire commuter seul, car le SN les ténèbres ne peut ici que remplir la fonction syntaxique de second complément du verbe sépara, cette fonction ne pouvant commuter avec aucune autre fonction.
Si on oppose [de tenεbr] ~ [d se tenεbr], on peut voir dans /d/ le signifiant de la préposition de et dans /e/ le morphème de pluriel, que l'on retrouve du reste dans l'article défini l-es, ce qui impliquerait que l'article défini présente dans ce contexte une variante zéro. Mais dans des ténèbres, comme du reste dans les ténèbres, le segment morphologique de pluriel n'est pas le signifié du morphème de pluriel, puisque le lexème ténèbres est toujours au pluriel, une paire comme des ténèbres ~ *du ténèbre étant impossible. Dans ces conditions, des ne contiendrait que deux morphèmes: la préposition /d/ et une variante /e/ de l'article défini dans le contexte d'un nom morphologiquement féminin pluriel.
André Martinet proposerait une autre analyse: sur le modèle de aux, il préférerait dire que des est un amalgame de la préposition de et de l'article défini, ce qui rejoindrait partiellement l'analyse des grammaires scolaires, qui parlent alors d'une contraction de la préposition et de l'article. Pour le fond, l'analyse est identique; la différence vient de ce que, pour des raisons de système, il préfère ne pas découper le segment /de/, la combinaison de la préposition à et de l'article défini le étant évidemment insegmentable quand elle est représentée par le phonème /o/ de: Il va au marché .
[vi] v-i-t: : 1) Les paires minimales: Dieu vit que... Dieu dit que... et Dieu vit que... Dieu fit que... supposent un morphème /v/ "voir" en face de /d/ "dire" et de /f/ "faire",
2) les paires Dieu vit que... Dieu voit que... et Dieu vit que... Dieu verra que... implique un morphème de passé simple /i/ (de signifié "passé factuel") en face, apparemment, d'un présent /wa/ (de signifié "actuel") et d'un "prospectif" /ra/ ou /era/.
On postulera en fait un lexème verbal "voir", dont le signifiant est /vwaj/ (cf. nous voy-ons, je voy-ais), ou même seulement /vwa/, avec une réalisation [vwaj] quand le phonème /wa/ présente une variante [waj] devant voyelle, et un morphème "temporel" de passé simple, dont le signifiant est, selon une hypothèse descriptive ingénieuse de Karel van den Eynde et Claire Blanche-Benveniste, non pas /i/ comme dans il dorm-i-t, il cueill-i-t, mais /VCi/, c'est-à-dire c'est-à-dire un -i-qui entraîne la chute de la consonne et de la voyelle qui le précèdent, et donc l'effacement de la finale du radical, comme dans le cas des verbes par exemple faire ou permettre. Ces lexèmes verbaux ont en effet respectivement comme signifiants /f@z/ et /pεRmet/, ainsi qu'on le voit à la première personne du pluriel du présent ou à l'imparfait; mais leurs passés simples sont il f-i-t et il perm-i-t, ce signifiant apparemment curieux faisant disparaître la consonne qui termine le radical verbal, ainsi que la voyelle qui précède cette dernière. On a donc des suites phonématiques
/il pεRmet + VCi + t/, /il f@z + VCi + t/ qui se réalisent phonétiquement:
[il pεRm i t], [il f i t]. Dans le cas du verbe voir, on a
/il vwa(j) + VCi + t/ qui se réalise
[il v i t].
Il en découle que si le lexème voir présente apparemment, au niveau phonétique, deux allomorphes, à savoir [vwa] et [v], ce dernier n'apparaissant que dans le contexte du passé simple et du subjonctif imparfait; en fait, au niveau phonématique, il est invariant, si on excepte le radical irrégulier /ve/ de il verra . Ce qui varie c'est en réalité le morphème de passé simple, avec son signifiant /VCi/ à côté du signifiant /i/ de il cueillit.
[di] d-i-t : lexème verbal "dire", dont le signifiant normal est /diz/ (cf. il dis-ai-t, qu'il dis-e, nous dis-ons) et dont /d/ est apparemment une variante due au contexte du morphème de passé simple, si l'on se fie aux paires minimales:
Dieu dit / vit que la terre était bonne Dieu dit / fit que la terre était bonne. Mais si l'on s'appuie sur des paires comme:
Dieu dit / dit que la terre était / est bonne
Dieu dit / disait que la terre était bonne on pourrait être tenté de postuler qu'au passé simple, c'est /di/ et non /d/ le signifiant associable au signifié «dire», puisqu'on retrouve ce segment à tous les temps de ce verbe. Ceci supposerait que le morphème de passé simple présente, dans le contexte de ce verbe, une variante ø, ce qui ne serait pas trop surprenant, dans la mesure où cela arrive notamment au verbe conclu-re ou au verbe ri-re. Mais ceci imposerait une variante surprenante /zε/ pour le morphème d'imparfait, alors qu'il est préférable de dire que le /z/ de l'imparfait il disait fait partie du signifiant du lexème verbal lui-même, puisqu'on le retrouve dans un certain nombre d'autres formes de ce verbe (à savoir au présent dans nous dis-ons, ils dis-ent ; ainsi que dans toutes les formes du subjonctif présent: que je dis-e, que tu dis-es, etc. et au participe dit présent: dis-ant ).
Il est dans ces conditions préférable de postuler que le verbe dire met en oeuvre au passé simple non pas une variante ø, mais, comme l'admettent Karel van den Eynde et Claire Blanche-Benveniste, une variante /VCi/. Celle-ci se combinerait alors avec le signifiant normal de "dire" (soit la suite phonématique /diz/); et l'on expliquerait ainsi l'apparente variante /d/ du lexème verbal à partir d'une suite phonématique /diz + VCi/.
On remarquera que si, dans il dit encore quelque chose, le passé simple est homonyme, ou plus exactement homophone, du présent [il dit
akOR], au niveau phonématique, on a affaire à deux suites différentes, le passé simple correspondant à /il diz + VCi + Ct/ et le présent à
/il diz + Ct/, si toutefois l'on admet que le temps dit présent est l'ensemble des formes verbales qui correspondent à l'absence de tout morphème temporel.
[etε] ét-ai-t : Les commutations ...était ~ semblait (devenait)... mettent en évidence un lexème verbal de signifiant /et/ et de signifié "être", que l'on retrouve dans l'infinitif être , et probablement danstu es (/ty et-C(z)/) et il est (/il et-C(t)/).
On pourrait croire que l'imparfait /ε/, qui est normalement le signifiant d'un morphème de "non actuel", est ici simplement un accord en temps (qu'on appelle traditionnellement concordance des temps) avec le verbe principalvit, qui est au passé simple, c'est-à-dire qu'il est obligatoirement entraîné par le fait qu'il dépend d'un verbe principal au passé, auquel cas on n'aurait pas le morphème de «non actuel», mais une variante /etε/ du lexème verbal. Toutefois comme il semble y avoir une différence de sens entre l'imparfait et le présent dans ce contexte, on doit dire qu'il s'agit bien ici du morphème de "non actuel". De fait le présent signifierait que la lumière est en soi, de façon générale bonne, alors que l'imparfait signifie qu'elle l'était au moment passé où Dieu la vit.
Quant au -t graphique final, c'est normalement le second élément du signifiant discontinu de "personne 3", c'est-à-dire "personne autre que le locuteur et que l'interlocuteur": on le trouverait par exemple, à l'oral, dans /il etεt
akOR .../. Mais ici ce t, considéré traditionnellement comme une désinence (c'est-à-dire une finale) de troisième personne, parce qu'il est couramment associé au pronom il de troisième personne, n'est pas un morphème. C'est seulement un segment morphologique d'accord du verbe avec son sujet. Il est obligatoire en français, dès que l'on a un sujet, et si ce sujet n'est pas au pluriel. N'étant pas choisi en tant que tel, il ne saurait être un morphème. Ce segment morphologique n'est pas réalisé quand il se trouve devant une initiale consonantique: [il etε syR lez o] en face de [il etεt odsy dez o]. Quand il est réalisé phonétiquement, les grammaires parlent alors de liaison. Il s'agit en réalité d'un allomorphe de la locution verbale, c'est-à-dire en l'occurrence de l'ensemble formé par le lexème verbal et son morphème d'imparfait.
[k
... swa] que ... soit:: "que" n'est pas ici une conjonction de subordination complétive, mais le "que" qui fait partie du subjonctif (cf. qu'il chante, que nous venions, etc.). Il se trouve en effet, dans notre texte, après l'ouverture des guillements. [k@] est en fait le signifiant du morphème de subjonctif, dont le signifié est "volonté", comme le montrerait la commutation:
Qu'il chante / Il chante où la disparition de que entraîne la disparition de la notion de volonté. On dira qu'il en est de même dans:
Que la lumière soit / La lumière est où l'absence de que, au lieu de vouloir que la lumière soit, constate que la lumière existe. Ceci implique que la forme [swa] doit alors être considérée comme une variante du verbe "être", entraînée par la présence de ce morphème de subjonctif, quand toutefois ce dernier n'est pas accompagné d'un morphème temporel. On aurait aussi pu, sans que quelque commutation le confirme expressément, retrouver dans le /s/ initial de /swa/ le même radical que dans s-ont, et peut-être aussi danss-uis . Cela aurait entraîné à postuler pour le morphème de subjonctif une variante discontinue /k\... wa/.
[fy] f-u-t: Une paire comme:
et la lumière fut /parut invite à postuler que le lexème être présente une autre variante, à savoir /f/ dans le contexte du passé simple. Certes une commutation comme:
et la lumière fut / arriva pourrait inciter à voir dans /fy/ un amalgame et du lexèmeêtre et du morphème de passé simple. Mais dans la mesure où certains verbes comme vouloir, courir, etc. recourent à une variante /y/ du morphème de passé simple (cf. il voul-u-t, il cour-u-t), il est préférable, même s'il n'est pas possible de s'appuyer sur une commutation, de voir dans le /y/ de fut le signifiant du morphème de passé simple, et donc de considérer que /f/ est un allomorphe du lexème être. Par conséquent dans le texte à analyser, le verbe être présente trois allomorphes. Et le passé simple en présente deux, à savoir /VCi/ et /y/, à quoi il faut ajouter le /i/ de il cueillit, et aussi le /a/ de il sépara.
[sepaR + a] sépar-a : Cette forme verbale contient un lexème verbal "séparer" (comme le montre la paire minimale: Dieu sépara ~ arracha (enleva) la lumière) et un morphème temporel de passé simple (comme le montre la paire minimale: ...sépara ~ séparait la...), morphème qui a pour signifiant /a/ et pour signifié "passé factuel". Il s'agit d'une variante du signifiant /VCi/ que le morphème de passé simple présente dans la cas du verbe voir, ou du signifiant /i/ qu'il présente dans le cas du verbe cueillir . Cette variante /a/ est propre à tous les verbes que la grammaire traditionnelle range dans ce qu'elle appelle la conjugaison du premier groupe. Il y a donc distribution complémentaire entre ces deux signifiants possibles du morphème de passé simple.
Le segment /a/ n'est pas le support formel du signifié complexe "passé factuel de 3ème personne du singulier", comme pourrait le suggérer l'analyse grammaticale traditionnelle. Car on retrouve ce /a/ à d'autres personnes du singulier ou du pluriel comme tu séparas, nous séparâmes et vous séparâtes. Faut-il alors ajouter un morphème à signifiant zéro comme support de l'éventuel signifié de "3ème personne du singulier"? Non, car on ne saurait préciser la valeur significative exacte de cette appellation grammaticale traditionnelle. La situation serait différente dans Dieu, il sépara la lumière, où la prétendue 3ème personne du singulier correspondrait bien à un morphème, dont le signifiant serait d'ailleurs /il/, et le signifié le contenu du SN que ledit morphème reprend anaphoriquement. Comme le verbesépara a la même forme en -a dans Dieu sépara et dans il sépara, à la différence de la forme en -as de tu séparas ou de la forme en -âmes de nous séparâmes, on dit traditionnellement que le verbe est morphologiquement à la troisième personne du singulier. Il ne s'agit pas alors d'un morphème à signifiant zéro, ni encore moins de deux morphèmes à signifiant zéro de "troisième personne" et de "singulier", mais simplement d'une nécessité morphologique (en l'occurrence un ^ formel) entraînée par l'accord du verbe au passé simple avec un sujet qui ne contient pas le morphème de pluralité (en l'occurrence le nom Dieu ). Donc dire que le verbe sépara dans:
Dieu sépara la lumière des ténèbres est à la troisième personne du singulier veut dire que, du fait de l'accord morphologique avec son sujet, il présente la même forme phonique et graphique que dans il sépara, où il est combiné avec le morphème de "personne 3", c'est-à-dire le morphème de signifié "ni locuteur, ni interlocuteur".
3. Dieu dit: «Que la lumière soit», et la lumière fut.
[k@ ... swa] que ... soit: "que" n'est pas ici une conjonction de subordination complétive, mais le "que" qui fait partie du subjonctif (cf. qu'il chante, que nous venions, etc.). Il se trouve en effet, dans notre texte, après l'ouverture des guillements. [k@] est en fait ici le signifiant du morphème de subjonctif, dont le signifié est "volonté". Et [swa] doit être considéré comme une variante du verbe "être", entraînée par la présence de ce morphème de subjonctif, quand ce dernier n'est pas accompagné d'un morphème temporel. En l'absence de guillemets (Dieu dit que la lumière fût, ou, plus simplement Dieu dit que la lumière soit), le segment que serait alors le morphème de subordination complétive; et ce morphème entraînerait la variante Y du morphème de subjonctif, ce qui éviterait une séquence du type *Dieu dit que que la lumière soit. Mais du coup, puisque le verbe présente une variante due au contexte du subjonctif, cette variante servirait de relai visible au morphème de volonté. Par contre si le verbe n'avait pas de variante au subjonctif, il n'y aurait alors pas de différence entre la phrase signifiant une volonté (Dieu dit que l'homme chante) et la phrase signifiant une affirmation (Dieu dit que l'homme chante), sauf si l'on mettait un subjonctif imparfait de concordance des temps (Dieu dit que l'homme chantât) ou si l'on remplaçait la complétive par un infinitif (Dieu dit à l'homme de chanter).
[lymjεR] lumière: lexème nominal morphologiquement féminin.
[fy] f-u-t: variante du lexème verbal "être", et morphème "temporel" de passé simple, dont le signifié est ici [y].
[vi] v-i-t: lexème verbal "voir", dont le le signifiant est /vwaj/ (cf. nous voyons, je voyais); et morphème "temporel" de passé simple, dont le signifiant est comme dans le cas du verbe dire /VCi/: cela fait disparaître les deux segments [wa], car ceux-ci représentent une seule voyelle, appelée diphtongue.
[k@] que: morphème de subordination complétive.
[etε] ét-ai-t: ici l'imparfait n'est pas le signifiant d'un morphème de "non actuel"; c'est simplement d'un accord en temps (qu'on appelle traditionnellement concordance des temps) avec le verbe principal vit qui est au passé simple. Comme tout accord il s'agit d'un phénomène morphologique.
[bOn] bonne: variante du lexème adjectival "bon" dans le contexte d'un sujet féminin. [sepaRa] sépara: lexème verbal "séparer" et morphème temporel de passé simple.
[de] des: est ici la combinaison de la préposition "de" et de l'article défini au pluriel. Ce n'est pas l'article partitif ni l'article indéfini. Car le verbe séparer se construit avec deux compléments de verbe, dont le second est introduit par la préposition de: on sépare quelque chose de quelque chose d'autre.
[djY] Dieu: lexème nominal.
[vi] v-i-t: 1) Les paires minimales: Dieu vit que... Dieu dit que... et Dieu vit que... Dieu fit que... supposent un morphème /v/ "voir" en face de /d/ "dire" et de /f/ "faire",
2) les paires Dieu vit que... Dieu voit que... et Dieu vit que... Dieu vera que...implique un morphème de passé simple /i/ "passé factuel" en face, apparemment, d'un présent /wa/ "actuel" et d'un "prospectif" /ra/ ou /era/. On postulera en fait un lexème verbal "voir", dont le signifiant est /vwaj/ (cf. nous voyons, je voy-ais) ou même seulement /vwa/, et un morphème "temporel" de passé simple, dont le signifiant est, comme dans le cas du verbe dire ou permettre, /VCi/. Ce signifiant apparemment curieux fera disparaître la consonne qui termine le radical verbal, ainsi que la voyelle qui précède ces deux consonnes, c'est-à-dire en fait les deux segments [wa]; car ceux-ci représentent une seule voyelle, appelée diphtongue. La suite des deux phonèmes /vwa+VCi/ se réalisera ainsi phonétiquement [vi], comme /diz+VCi/ se réalisera [di].
[k@] que: morphème de subordination complétive.
[la] la: une commutation comme ... la ~ une lumière... montre que l'article dit indéfini correspond à un morphème. Mais cet article semble ajouter ici à son signifiant nirmal /l/ un segment [a] dit traditionnellement de féminin, qui n'est pas une unité significative de féminin; car le féminin de l'article n'est nullement choisi en tant que tel par le locuteur français de préférence à à quelque chose d'autre; il lui est imposé par le choix qu'il a fait ou va faire du lexème lumière. Il est en effet impossible de dire *... vit que le lumière, en faisant commuter le féminin de l'article avec le masculin. On ne peut donc pas prétendre que la commute avec le. En fait la alterne avec le, c'est-à-dire apparaît à la place de le dans certains contextes particuliers. C'est donc très exactement la variante du morphème de définitude "le" dans le contexte d'un nom morphologiquement féminin.
On distingue en effet en français deux sous-classes morphologiques de noms qu'on appelle les noms masculins et les noms féminins, selon les formes d'accord morphologique qu'ils entraînent pour les morphèmes qui sont en relation syntaxiqque avec eux. Sont masculins les noms qui sont compatibles avec les formes le, mon, ce, cet, etc. de déterminant, et féminins ceux qui sont compatibles avec les formes la, ma, cette, etc.
[lymjεR] lumière: lexème nominal morphologiquement féminin.
[etε] ét-ai-t : Les commutations ...était ~ semblait (devenait)... mettent en évidence un lexème verbal de signifiant /et/ et de signifié "être". On pourrait croire que l'imparfait /./, qui est normalement le signifiant d'un morphème de "non actuel", est ici simplement un accord en temps (qu'on appelle traditionnellement concordance des temps) avec le verbe principal vit qui est au passé simple. Mais comme il semble y avoir une différence de sens entre l'imparfait et le présent dans ce contexte, on doit dire qu'il s'agit bien ici du morphème de "non actuel". De fait le présent signifierait que la lumière est en soi, de façon générale bonne, alors que l'imparfait signifie qu'elle l'était au moment passé où Dieu la vit.
Quant au -t final, c'est normalement le second élément du signifiant discontinu de "personne 3, c'est-à-dire "personne autre que le locuteur et que l'interlocuteur": on le trouverait par exemple dans /il etεt
akOR .../. Mais ici ce -t, considéré traditionnellement comme une désinence (c'est-à-dire une finale) de troisième personne parce qu'il est couramment associé au pronom il de troisième personne, est un segment morphologique d'accord du verbe avec son sujet. Il est obligatoire en français, dès que l'on a un sujet et si ce sujet n'est pas au pluriel. N'étant pas choisi en tant que tel, il ne saurait être un morphème. Ce segment morphologique n'est pas réalisé quand il se trouve devant une initiale consonantique: [il etεt odsy dez o] en face de [il etε syR lez o]. Quand il est réalisé phonétiquement, les grammaires parlent alors de liaison.
[bOn] bonne: variante du lexème adjectival "bon" dans le contexte d'un sujet féminin.
[e] et: morphème grammatical signifiant l'addition à ce qui précède.
[sepaR + a] sépar-a: lexème verbal "séparer" (comme le montre la paire minimale: Dieu sépara ~ arracha (enleva) la lumière) et morphème temporel de passé simple (comme le montre la paire minimale: ...sépara ~ séparait la...), morphème qui a pour signifiant /a/ et pour signifié "passé factuel". Il s'agit d'une variante du signifiant /VCi/ que le morphème de passé simple présente dans la cas du verbe voir ; cette variante /a/ est propre à tous les verbes que la grammaire traditionnelle range dans ce qu'elle appelle le premier groupe. Il y a donc distribution complémentaire entre ces deux signifiants possibles du morphème de passé simple.
Le segment /a/ n'est pas le support formel du signifié complexe "passé factuel de 3ème personne du singulier"; car on retrouve ce /a/ à d'autres personnes du singulier ou du pluriel comme tu séparas, nous séparâmes et vous séparâtes. Faut-il alors ajouter un morphème à signifiant zéro comme support du signifié "3ème personne du singulier"? Non, car on ne saurait préciser la valeur significative exacte de cette appellation grammaticale traditionnelle. La situation serait différente dans Dieu, il sépara la lumière, où la prétendue 3ème personne du singulier correspondrait bien à un morphème, dont le signifiant serait d'ailleurs /il/, et le signifié le contenu du SN que ledit morphème reprend anaphoriquement. Comme le verbe sépara a la même forme en -a dans Dieu sépara et dans il sépara, à la différence de la forme en -as de tu séparas ou de la forme en -âmes de nous séparâmes, on dit traditionnellement que le verbe est morphologiquement à la troisième personne du singulier. Il ne s'agit pas alors d'un morphème à signifiant zéro, ni encore moins de deux morphèmes à signifiant zéro de "troisième personne" et de "singulier", mais simplement d'une nécessité morphologique (en l'occurrence Ø) entraînée par l'accord du verbe au passé simple avec un sujet qui ne contient pas le morphème de pluralité (en l'occurrence le nom Dieu).
[de] des: est ici la combinaison de la préposition "de" et de l'article défini au pluriel. Ce n'est pas l'article partitif ni l'article indéfini. Car le verbe séparer se construit avec deux compléments de verbe, dont le second est introduit par la préposition de: on sépare quelque chose de quelque chose d'autre. Comme cette préposition de indique la fonction de second complément de verbe du constituant les ténèbres, il n'est pas possible de le faire commuter seul, car le SN les ténèbres ne peut ici qu'être second complément du verbe sépara.
Si on oppose [de tenεbr] ~ [d se tenεbr], on peut voir dans /d/ le signifiant de la préposition de et dans /e/ le morphème de pluriel, que l'on retrouve du reste dans l'article défini l-es, ce qui impliquerait que l'article défini présente dans ce contexte une variante zéro. Mais dans des ténèbres, comme du reste dans les ténèbres, le segment morphologique de pluriel n'est pas le signifié du morphème de pluriel, puisque le lexème ténèbres est toujours au pluriel, une paire comme des ténèbres ~ du ténèbre étant impossible. Dans ces conditions, des ne contiendrait que deux morphèmes: la préposition /d/ et une variante /e/ de l'article défini dans le contexte d'un nom morphologiquement féminin pluriel.
André Martinet proposerait une autre analyse: sur le modèle de aux, il préférerait dire que des est un amalgame de la préposition de et de l'article défini, ce qui rejoindrait partiellement l'analyse des grammaires scolaires, qui parlent alors d'une contraction de la préposition et de l'article.
[tenεbR] ténèbres: lexème nominal qui est morphologiquement féminin et pluriel.
[le] les: les ténèbres, il les appela «nuit» ~ ... il *l' ...: le pluriel est obligatoire; mais dans un autre contexte, la phrase simple il les appela «nuit» serait possible. On a donc ici le pluriel les, parce que le nom ténèbres, auquel il renvoie, est lui-même au pluriel.
Par ailleurs l'impossibilité de réduire: les ténèbres, il les appela «nuit» à seulement: les ténèbres, *il appela «nuit» en face de la possibilité de dire aussi bien: il les appela «nuit», les ténèbres que: il appela «nuit» les ténèbres incite à admettre qu'il faut obligatoirement un pronom de rappel après un SN mis en avant comme les ténèbres. Toutefois il y a un choix possible entre différents pronoms: les, vous, nous, comme dans: les ténèbres, il vous appela «nuit», et même ça comme dans: les ténèbres, il appela ça «nuit». Bref il faut n'importe quel morphème grammatical à condition qu'il désigne le même individu que le SN mis en avant. Pour désigner ce même individu, il faut que ledit morphème contienne éventuellement le même morphème de pluralité que lui, et qu'il présente les mêmes caractéristiques morphologiques, c'est-à-dire le même genre grammatical et, ici, en outre, le même nombre grammatical, puisque le nom ténèbres est un nom morphologiquement féminin pluriel. Donc les deux segments de: les forment ici une variante du seul morphème anaphorique le, variante qui apparaît dans le contexte d'un nom faisant partie de ce que les grammaires appellent parfois les pluralia tantum.
Ce morphème les n'a rien à voir avec la forme les de l'article défini au pluriel, dans la mesure où il a un sens et un fonctionnement entièrement différents. Il s'agit donc de deux morphèmes homonymes, c'est-à-dire de deux morphèmes différents qui ont un signifiant identique.