Diogène d’Apollonie
Diels, Hermann, 1952, (1ère éd. : 1903),
Fragmente der Vorsokratiker, II, 55-56 :
Dumont, Jean-Paul, Delattre, Daniel, & Poirier, Jean-Louis (éds.), 1988,
Les Présocratiques,
Bibliothèque de
XIX Théophraste.
Diogène d’Apollonie attribue à l’air les sensations, comme c’est à lui qu’il attribue aussi la vie et la pensée. C’est pourquoi on pourrait encore dire qu’il produit les sensations à partir du semblable (car il ne saurait y avoir ni action ni passion, si toutes choses ne dérivaient pas d’un unique principe.
L’olfaction provient de l’air qui entoure le cerveau, car il est dense et congruent à l'odeur': en effet, le cerveau est lui-même d'une substance raréfiée, ses vaisseaux sont subtils et l'air qu'ils renferment ne se mélange pas aux odeurs parce que sa composition ne leur est pas congruente : en effet, si quelque chose se trouvait congruent au mélange, il est évident que cela serait perçu. 40. Quant à l'audition, elle se produit lorsque l'air qui est dans les oreilles, après avoir été mû par un objet extérieur, parvient au cerveau. L'impression visuelle provient des images reflétées sur la pupille', et son mélange avec l’air interne provoque la sensation. En voici une preuve: lorsque les vaisseaux sont atteints de phlegmasie, le mélange avec l’air interne ne se fait plus et la vue ne s'accomplit plus, bien que l'impression sur la pupille existe. La saveur est perçue par la langue en raison de la rareté et de la finesse de son tissu. Il ne dit rien du toucher: ni de la manière dont il s'accomplit, ni de ses organes.
Mais par la suite, il
s'efforce de dire pourquoi certaines sensations peuvent être plus fines, et
pour quelles sortes d'individus.
Lorsque le conduit est plus large, le mouvement de l'air produit un remous et le son manque de force, parce qu'il ne vient pas frapper de l'air immobile. 42. La vue la plus perçante appartient à ceux qui ont l'air et les vaisseaux subtils, comme pour les autres sensations, et à ceux qui ont l' œil le plus brillant. C'est la couleur contraire qui est la plus visible: c'est pourquoi ceux qui ont les yeux noirs voient mieux pendant le jour, et voient mieux les objets brillants, alors que ceux qui ont les yeux pâles voient mieux la nuit. Une preuve que la sensation est le fait de l'air intérieur, qui est une petite partie de Dieu', est fournie par le fait que souvent lorsque nous avons l'esprit ailleurs et attentif à autre chose, nous ne voyons ni n'entendons.
43. Le plaisir et la douleur se produisent de la manière suivante : lorsqu'une grande quantité d'air se mélange au sang et l'allège, cet air étant normal et se répandant dans tout le corps, c'est alors que se produit le plaisir; en revanche, quand l'air est anormal et ne se mélange pas, que le sang se trouve alourdi et devient moins vigoureux et plus dense, c'est la douleur qui se produit. Il en va de même de la force et de la santé, et de leurs contraires. L'organe le plus apte à goûter le plaisir est la langue. Elle est en effet très fine et d'un tissu rare, et tous les vaisseaux débouchent à sa surface ; c'est pourquoi elle permet de diagnostiquer un grand nombre de maladies et révèle <par sa teinte> les carnations des autres animaux; c'est elle qui rend visibles le nombre et la qualité de ces carnations'. Tels sont, d'après lui, les processus et les causes des sensations.
44. Quant à la pensée, ainsi qu'il l'a dit', elle est produite par l’air pur et sec. L'humidité fait en effet obstacle à l’Intellect ; c'est pourquoi le sommeil, l'ivresse et la réplétion affaiblissent la pensée. Que l'humidité fait disparaître l'Intellect, la preuve en est que les autres animaux sont moins intelligents que l’homme, car ils respirent l'air qui monte de la terre et se nourrissent d'une pâture plus humide'. Quant aux oiseaux, ils respirent un air pur, mais leur nature est semblable à celle des poissons : car leur chair est resserrée' et le souffle ne peut pénétrer à travers tout leur corps, si bien qu'il demeure dans la cavité abdomina1e; c'est pourquoi ils ont une digestion rapide, mais pas de jugeotte; leur bouche et leur langue sont, d'autre part, en partie consacrées à la nourriture: aussi sont-ils incapables de se comprendre mutuellement. Quant aux plantes, elles sont complètement dépourvues de pensée, parce qu'elles sont complètement dépourvues de cavités où l'air pourrait se loger. 45. C’est pour la même raison que les enfants manquent de jugeotte : en effet ils ont beaucoup d'humidité, de telle sorte que l’air ne peut pas pénétrer la totalité de leur corps, mais s'accumule dans leur poitrine. Telle est la raison pour laquelle ils sont sots et sans jugeotte; ils sont colériques et, en général, instables et bavards, du fait qu'une bonne partie de l'air qu'ils respirent ne dispose que de petits conduits pour se mouvoir. C'est là encore la cause de l'oubli : vu que l'air ne chemine pas à travers tout le corps, ils ne peuvent pas comprendre; la preuve en est que lorsqu'on fait un effort pour se souvenir, on sent un blocage dans la poitrine, et au contraire, lorsqu'on a retrouvé < ce qu'on cherchait>, le blocage se dissipe et le poids de la douleur disparaît. (Du sens, 39-45.)