UNIVERSITÉ DE PROVENCE                                                       ANNÉE: 2003-2004

              Centre d'Aix

1ère SESSION   Normal           

                          Remplacement 

 

2ème SESSION   Normal          

                           Remplacement

 

Code du module: SCL 617

Intitulé: Analyse des langues N° 2

Enseignant: C. Touratier

Régime:                       Normal                                CTE               

Durée de l'épreuve: 3 heures / 2

Documents non autorisés

 

SÉMANTIQUE

 

1. Le dictionnaire Lexis admet pour le verbe appeler deux homonymes:

1. appeler v. tr. 1. Appeler une personne, un animal, les faire venir, attirer leur attention, les engager à agir, par un cri, un geste, etc., ou par un message, un ordre. Appeler de loin un ami que l'on reconnaît dans la rue (syn.: heler). Le médecin a été appelé par téléphone. Il appelait la police (Cocteau).

et un second verbe:

"2. appeler v. tr. (de appeler 1) (Sujet nom de pers). 1. Appeler quelqu'un, quelque chose, lui donner un nom, une qualification. On l'appela Jean (syn.: prénommer). Comment l'appelle-t-on? (syn.: nommer). Appeler son fils du nom de son grand-père. Vous croyez que c'est cela qu'ils appellent la tendresse (Anouilh) (syn.: qualifier). Il faut appeler les choses par leur nom et fam. appeler un chat un chat (= ne pas chercher à atténuer la réalité). 2. Appeler quelqu'un, vérifier sa présence en prononçant son nom: A plusieurs reprises je l'appelai par son nom (Aymé). Appeler les élèves d'une classe (syn. faire l'appel de). On a appelé son nom, mais il n'était pas là.

Le Nouveau Petit Robert préfère admettre un seul verbe avec 7 sens, dont les principaux sont les suivants:

Appeler v. tr. 1. Inviter (qqn) à venir en prononçant son nom, par un mot, un cri, un bruit. Þ Interpeller, apostropher. Qqn l'appelle de loin Þ héler. Tu pourrais répondre quand on t'appelle! Appeler son chien Þ siffler. <…> 2. Appeler au téléphone. Þ téléphoner. absolt. Je vous appellerai demain. Elle a appelé deux fois. <…> 3. Inviter (qqn) à venir. Þ convier, convoquer, demander, inviter. Appeler qqn près de soi. On a appelé le médecin, une ambulance, un prêtre. <…> (choses) Demander, exiger, entraîner. «La République nous appelle» (M.-J. Chénier). Þ Solliciter. Ce grave sujet appelle toute votre attention. Þ réclamer. <…> 7. Donner un nom (a qqn ou qqch.): Ils appelleront leur prochaine fille Hélène. Þ nommer, baptiser, prénommer. <…> «C'est cela que vous appelez un pistolet-mitrailleur propre?» (Pérec). loc. Appeler les choses par leur nom: ne pas affaiblir par des mots ce que certaines vérités peuvent avoir de dur ou de choquant, être franc, direct <…> «J'appelle un chat un chat et Rolet un fripon» (Boileau).

Expliquez et discutez ces deux descriptions lexicologiques, en établissant précisément le signifié du verbe polysémique (ou des 2 verbes homonymes) et en expliquant comment apparaissent les significations particulières données en exemples que prend ce lexème (ou ces lexèmes). (12/20)

2. Tirez de vos discussions l'article (ou les articles) de dictionnaire que vous proposeriez pour le verbe appeler. (2/20)

3. Le sème est-il et doit-il être distinctif? Expliquez et discutez sur quelques exemples précis. (6/20)

 

 

Notes pour un corrigé

 

Deux traitements fort différents pour un même mot du vocabulaire: un traitement, traditionnel, dit polysémique, qui postule implicitement que ledit mot est le signifiant d'un seul et même morphème lexical ou lexème, lequel lexème a un certain nombre de sens différents, et un traitement, plus moderne et théoriquement plus linguistique, dit homonymique, qui postule qu'un même mot est le signifiant de plusieurs lexèmes différents, ce même signifiant (phonique ou graphique) étant par conséquent associé à autant de signifiés différents. Le dictionnaire Lexis, qui reprend le dictionnaire d'inspiration linguistique et notamment distributionnelle qu'était le Dictionnaire du Français Contemporain, est homonymique: il admet qu'il y a deux morphèmes de signifiant /apəle/, et postule par conséquent deux mots homonymes, qu'il note 1. appeler et 2. appeler.  Le Nouveau Petit Robert suit la tradition des dictionnaires français, et admet qu'il n'y a qu'un seul mot appeler, mais que celui-ci présente 7 sens différents. Il s'agit donc d'un lexème polysémique.

1. Pour Lexis, il y a donc deux verbes homonymes, que rien apparemment ne distingue au point de vue syntaxique ou distributionnel, puisque tous les deux sont qualifiés de verbes transitifs. Leur différence se situe par conséquent au seul niveau sémantique, 1.appeler signifiant globalement "faire venir", et 2.appeler "donner un nom". Ce traitement a l'avantage de la clarté, c'est-à-dire de bien montrer qu'il y a deux grands sens différents pour le mot appeler, alors que LNPR brouille un peu les choses, en considérant que le second grand sens de appeler n'est que son 7ème sens particulier. Il faut aller jusqu'à la fin de l'article pour trouver ce second sens, qui est donc perdu au milieu des significations dudit verbe. Or si l'on simplifie les choses pour les apprenants par exemple, il est assez traditionnel de bien voir cette bipartition sémantique. Par exemple dans le dictionnaire des synonymes de Bénac, on ne trouve que deux sens principaux et donc deux séries différentes de synonymes: "Appeler 1) Désigner une personne ou une chose par un mot", et "2) Faire venir. Appeler, très général, donner avis à quelqu'un qu'on veut ou qu'on désire qu'il se rende quelque part" (Bénac, 1956-1982, 51); et par conséquent, la première série de synonymes: nommer, dénommer, baptiser, qualifier, surnommer, et la seconde série: mander, convoquer, inviter. C'est la même bipartition que dans Lexis, à cette différence près que l'ordre des significations est inversé. Lexis met en premier le sens de "faire venir", parce qu'il estime que le sens de "donner un nom" est dérivé "de appeler 1", dit-il expressément.

Il ne précise pas cette filiation, parce qu'elle est d'ordre diachronique. Mais peut-être est-il possible de dire que si pour "faire venir" quelqu'un qu'on appelle, on peut faire un geste, pousser un cri ou dire, en direction de la personne concernée, "Hep! Là. Vous", comme l'explique Lexis, on peut aussi tout simplement dire son nom: "Hé! Untel!". L'explication de cette dérivation est clairement suggérée par LNPR, quand il explique le sens de "faire venir" du verbe appeler, en disant: "Inviter (qqn) à venir en prononçant son nom (c'est nous qui soulignons), par un mot, un cri, un bruit". 

Le second lexème est traité de façon plus confuse. D'abord, on est un peu étonné que Lexis ne s'aperçoive pas qu'il n'a pas la même construction syntaxique que le premier. Si 1.appeler est bien transitif, étant construit avec un complément d'objet, on est tenté de dire que 2.appeler est doublement transitif, il est construit non seulement avec un complément d'objet, mais aussi avec un attribut de ce complément d'objet:

il appela son fils (COD) Jean (attribut du COD), appeler un chat (COD) un chat (attribut du COD).

Il arrive cependant que 2.appeler ne présente pas d'attribut du cod, comme dans:

Appeler son fils du nom de son grand-père.

Il faut appeler les choses par leur nom.

Mais alors un circonstant apporte l'information qui permet de suppléer à l'absence d'attribut du COD, qui est devenu inutile puisque le destinataire sait quel est le nom du grand-père, par exemple.

Si Lexis ne signale pas cette différence de construction syntaxique, c'est parce qu'il est tenté de retrouver ce même 2.appeler dans des constructions sans attribut du COD, où appeler quelqu'un, signifie "vérifier sa présence en prononçant son nom". Certes dans un exemple comme:

A plusieurs reprises je l'appelai par son nom (Aymé)

On a appelé son nom, mais il n'était pas là.

on pourrait dire que le circonstant par son nom rend inutile la présence de l'attribut du COD; mais alors le verbe a un sens proche de celui de 1.appeler, mais nullement le sens de "donner un nom". Le second exemple est plus curieux, c'est le COD qui suggère que la personne désigné par le possessif son a un nom. Mais dans les deux cas, le verbe appeler ne signifie pas "donner un nom à qqn", mais "dire le nom de qqn". Peut-être Lexis considère-t-il qu'il y a là deux effets de sens d'un même signifié, dus à des situations différentes. Dans les deux cas, il s'agit de "dire le nom de quelqu'un", mais dans le premier cas, ce quelqu'un n'a pas encore de nom, et donc on le lui donne, alors que dans le second cas, il a déjà un nom qu'on connaît, et l'on se contente de le redire.

2. Pour Le Nouveau Petit Robert, le verbe appeler signifie fondamentalement "inviter quelqu'un à venir", à peu près comme le 1.appeler de Lexis; peut-être même serait-il préférable de dire "faire signe à quelqu'un de venir", c'est-à-dire plus particulièrement, sans qu'il s'agisse alors de traits sémiques pertinents "faire signe (de la voix, d'un geste ou d'un bruit) à quelqu'un de venir". Et tous les autres sens doivent être considérés comme des particularisations de ce sens général. Tel est bien le cas de l'emploi de appeler par ou au téléphone, comme le montreraient assez bien les deux exemples de Lexis:

Le médecin a été appelé au téléphone

Il appelait la police (Cocteau).

Mais cet emploi a pris un sens plus général qui fait que l'on n'appelle pas forcément quelqu'un au téléphone pour le faire venir, mais pour lui demander de ses nouvelles, lui donner de ses nouvelles ou tout simplement lui parler. L'expression appeler (au téléphone) signifie alors tout simplement téléphoner, c'est-à-dire "se manifester à quelqu'un en lui parlant au téléphone", comme le montrent bien les deux exemples de LNPR:

Je vous appellerai demain. Elle a appelé deux fois.

Ce que LNPR considère comme le 3ème sens du verbe appeler, à savoir " inviter quelqu'un à venir" n'est guère différent du sens général. Il correspond au noyau sémique pertinent de ce sens général, et montre simplement qu'il ne faut pas considérer comme pertinents les traits circonstanciels de la définition générale "inviter quelqu'un à venir (en prononçant son nom, par un mot, un cri, un bruit)", ceux-ci dépendant de chaque situation référentielle désignée. Et LNPR a parfaitement raison de voir encore des particularisations de ce sens général dans les deux emplois particuliers:

«La République nous appelle» (M.-J. Chénier).

Ce grave sujet appelle toute votre attention.

Leur particularité vient de ce que le sujet du verbe n'est pas un être animé et ne peut donc pas vouloir faire un signe, lancer un appel à qui que ce soit. Mais dans l'exemple de Chénier, la République est personnifiée et est donc présentée comme une femme qui appellerait les citoyens à venir la servir ou la défendre. Dans l'autre exemple, c'est celui qui parle qui attire l'attention de ses auditeurs sur ce qu'il dit et qui dépersonnalise cet appel en feignant de le transférer sur son propos. Il s'agit donc d'un emploi métaphorique; mais la métaphore est tellement usée qu'elle est passée dans la langue courante et n'est même plus ressentie comme une métaphore.

Le dernier sens répertorié par LNPR, à savoir "donner un nom à quelqu'un ou quelque chose", est lui aussi considéré comme un emploi particulier du sens général, puisqu'il est présenté comme un 7ème sens de ce verbe. Mais il faut bien reconnaître que l'on ne voit pas comment cet emploi se rattache au sens général, et que LNPR ne fait aucune suggestion, si ce n'est que dans sa définition du sens général, il a introduit une circonstance, donc un élément sémique non pertinent, qui mentionne l'élément nouveau de ce 7ème sens par rapport aux autres. Il a proposé en effet comme définition "inviter quelqu'un à venir en prononçant son nom <ou> par un mot <ou etc.>". On peut penser qu'il s'agit d'une habileté en quelque sorte rhétorique.

Quelques dictionnaires suggèrent une explication pour le passage du sens premier au deuxième sens/

"4° <et dernier sens> P. ext. Désigner une personne ou une chose par le nom qu'elle porte ou par un nom qu'on lui donne. (Syn. nommer). J'appelle un chat un chat et Rollet un fripon, BOIL. Sat. 1. La peste puisqu'il faut l'appeler par son nom LA F. Fab. VII,1 <…> Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles, BEAUMARCH. B de Sév. IV,5 <…>" (Hatzfeld & Darmesteter, 117)

"Le français appeler signifie d'abord «s'adresser à qqn (par un cri, des paroles)», secondairement «en le nommant» ou «en le désignant par un caractère propre» (XIIIe s.). <…> Du sens initial, spécifié par le recours au nom, vient la valeur de «nommer» (XIIe s.), réalisée dans appeler les choses par leur nom (1678, La Fontaine) et, fréquemment, dans s'appeler (XIVe s.), par extension «signifier», employé dans l'expression cela s'appelle (et infinitif ou nom) «c'est bien, c'est vraiment» (XVIe s.), d'où voilà qui s'appelle… (avec un nom ou un infinitif, 1671)" (Rey, 20003, 100)