SCL 911 (2003)
Il faut, nous semble-t-il, admettre, avec Jean Perrot, que "dans le cadre des phrases d'une langue, il est nécessaire de distinguer deux structurations qui se réalisent conjointement sur l'axe syntagmatique:
"c'est à partir notamment de la structure syntaxique et dans la structure syntaxique que l'interlocuteur construit la structure sémantico-informative du message. Ceci veut dire que, sans être parallèle à la structure informative, la structure syntaxique est un des éléments qui permet d'appréhender la structure informative" (Touratier, 1994, p. LVII)
les autres facteurs étant l'intonation que reçoit l'énoncé et l'ordre dans lequel ses constituants se présentent dans la chaîne syntagmatique. Pour travailler dans la clarté, nous suivrons le conseil de Jean Perrot et utiliserons, pour décrire les faits de chacune de ces deux structurations, "une terminologie propre" (Perrot, 1978, 95).
1. Les unités de base de la structure informative: Pour décrire la structuration informative, l'Ecole de Prague a lancé, dans le cadre de ce qu'elle appelait "la perspective fonctionnelle de la phrase" (the Functional Sentence Perspective), mais qu'il serait plus parlant d'appeler "la perspective communicative de la phrase" (d'après Panhuis, 1982, 2), les deux termes de thème et rhème.
a. Thème et rhème: C'est Mathesius, le fondateur du Cercle de Prague, qui
introduisit ces deux termes, en en proposant la définition suivante: "Un examen <…> minutieux des phrases du point de vue de l'assertion montre qu'une majorité écrasante de phrases contient deux éléments fondamentaux de contenu: une affirmation et un élément au sujet duquel l'affirmation est faite. L'élément au sujet duquel quelque chose est affirmé peut être appelé la base de l'énoncé ou le thème, et ce qui est affirmé au sujet de la base est le noyau de l'énoncé ou le rhème" (d'après Mathesius, 1975, 81)
Une telle terminologie empruntée au grec était particulièrement heureuse, car elle permettait de laisser à la syntaxe les deux termes d'origine latine qu'étaient le sujet et prédicat, alors que thème pouvait avoir un sens proche de celui de sujet, et rhème de celui de verbe ou prédicat.
Mathesius signalait en effet que ces deux constituants avaient été identifiés avant lui sous des noms différents. "La base de l'énoncé (le thème) est souvent appelé, disait-il, le sujet psychologique, et le noyau (le rhème) le prédicat psychologique" (d'après Mathesius, 1975, 81). Même si "en anglais, comme le dit Mathesius, le thème de l'énoncé est exprimé, autant que possible, par le sujet grammatical et le rhème par le prédicat grammatical (la même chose valant largement pour le français aussi), les termes de thème et rhème ont l'intérêt de montrer que la phrase est alors envisagée du point de vue de l'organisation informative, et les termes de sujet et prédicat du point de vue de l'organisation syntaxique.
Firbas, un disciple de Mathesius, transformera ce couple en une opposition en quelque sorte privative, le thème devenant un non-rhème, mais il le fera en même temps entrer dans des oppositions graduelles, tous les éléments de la phrase ne lui semblant pas avoir le même degré de force communicative.
"Par degré de force communicative véhiculée par un élément de la phrase, nous
entendons, précise-t-il, dans quelle mesure il fait en quelque sorte avancer la
communication. Les éléments qui apportent les plus bas degrés de force communicative
constituent le thème, ceux qui apportent les plus hauts degrés, le rhème, l'élément qui
apporte le plus bas degré de force communicative fonctionnant comme le thème propre,
celui qui apporte le plus haut degré de force communicative comme le rhème propre. En
plus du thème et du rhème, il y a la transition qui du point de vue de la force
communicative apportée est d'une part supérieur au premier, et d'autre part inférieur au
second. La répartition fondamentale de la force communicative est une suite thème-
transition-rhème (M. Brown [thème] s'est révélé [transition] un excellent professeur
[rhème])" (d'après Firbas, 1966, 240). Nous préférerons, pour notre part, faire entrer la prétendue transition dans le rhème, en analysant ainsi l'exemple de Firbas:
M. Brown [thème] s'est révélé un excellent professeur [rhème]. Mais lorsque la phrase non-émotive devient syntaxiquement plus complexe et contient plus de deux éléments communicatifs le schéma de base deviendra, comme le souligne Dirk Panhuis, quelque chose comme:
Thèmepropre, Thème, …, Transitionpropre, Transition, …, Rhème, Rhèmepropre. (cf. Panhuis, 1982, 10).
b. Topique et commentaire: La linguistique américaine a remplacé les deux termes pragois de thème et rhème respectivement par topic («topique») et comment («commentaire»). Hockett a en effet appelé "topique la personne ou la chose dont on dit quelque chose" et "commentaire ce qui est dit de cette personne ou de cette chose" (Lyons, 1970, 257), définitions qui reprennent très exactement ce que Aristote dénommait l'hypokeimenos, qui est devenu notre sujet, et le kategorema, qui est devenu notre prédicat. Ces termes de topic et comment, comme ceux de thème et rhème, ont néanmoins l'avantage de permettre de distinguer le point de vue syntaxique du point de vue sémantico-logique ou
informatif. En effet, comme John Lyons le remarque justement,
"Hockett établit une distinction entre le sujet et le prédicat, qui sont des notions
syntaxiques, et le topique et le commentaire (bien qu'il dise que les premiers coïncident
avec les seconds dans les phrases déclaratives les plus courantes de l'anglais et des
langues indo-européennes les plus connues)." (Lyons, 1970, 257). Mais cette distinction lui permet d'avancer des analyses fort intéressantes sur par exemple le rôle du pronom relatif, qu'il décrit en ces termes:
"Dans the men that usually sit here («les hommes qui s'asseyent habituellement ici»),
that fait pleinement partie de la proposition that usually sit here;
le sujet de usually sit here; dans the man that I saw («l'homme que j'ai vu»), that est le
topique de la proposition et l'objet du verbe saw " (Hockett, 196914, 194)
"Dans la forme the man whom you visited here yesterday («l'homme auquel vous avez
rendu visite ici hier»), la proposition relative a whom comme topique, et le reste comme
commentaire. Mais whom est l'objet de visited, et you est son sujet" (Hockett, 196914,
201).
Par la suite, on a cherché, en Europe comme aux USA, à approfondir ou à réorienter ces différents concepts, et surtout celui de thème. Certains ont même préféré remplacer les termes de commentaire et topique ou de rhème et thème par les termes respectivement d'«information nouvelle» et «information ancienne». Wallace Chafe écrit par exemple:
"La distinction entre information ancienne et nouvelle est le principal phénomène qui
sous-tend les discussions sur ce qui a été appelé topique et commentaire, ou thème et
rhème; d'autres termes ont aussi été utilisés à l'occasion. Dans une certaine mesure la
même distinction se reflète aussi dans les termes de sujet et prédicat. Ces deux derniers
termes concernent plus proprement des éléments particuliers de structures de surface,
non de structures sémantiques, du moins dans des langues comme l'anglais. <…> Nous
avons donc besoin d'un terme qui désigne l'entité sémantique dont la signification est à
décrire comme «nouvelle information». Les termes de commentaire et rhème ont tous
les deux quelque inconvénient, et cela peut indiquer plus clairement la signification en
question si j'utilise simplement le terme de nouveau. J'admettrai donc la position que le
nouveau est la spécification qui peut être ajoutée, non à un verbe ou un nom tout entier,
mais à une unité sémantique particulière à l'intérieur d'un verbe ou d'un nom." (d'après
Chafe, 1971, 211-212). Aujourd'hui, la situation est si peu claire que deux revues françaises ont essayé de faire un panorama de la situation. Dans Langue française, l'article d'ouverture de Bernard Fradin et Pierre Cadiot s'intitule "Présentation, Une crise en thème?", où l'on observe notamment que la notion de notion de thème "n'est pas une notion conceptualisée: elle s'offre comme une donnée intuitive, primitive, antérieure à l'analyse. Il est symptomatique de ce point qu'elle est souvent introduite sans être définie" (Fradin & Cadiot, 1988, 4). Le titre de l'article de Michel Galmiche dans L'Information grammaticale est lui aussi très significatif: "Au carrefour des malentendus: le thème" (Galmiche, 1992, 3). Cet article illustre magnifiquement la remarque générale par laquelle s'ouvre le numéro de cette revue, à savoir que "le discours sur le thème est hétérogène", parce que "la plupart des analyses utilisant cette notion accordent une place trop grande à l'intuition" (Bosredon & Galmiche, 1992, 2).
c. Support et apport (informatifs): Devant cette hétérogénéité et aussi parce que ce qu'on est tenté d'appeler thème ou topique n'est pas toujours ce dont le locuteur parle, il nous semble préférable de suivre la terminologie proposée par Bernard Pottier et de recourir et de remplacer le couple thème et rhème par le couple support (informatif) et apport (informatif). Le terme de support, qui rappelle la métaphore de Halliday selon laquelle le thème est comme "le porte-manteau (the peg) auquel le message est suspendu, le rhème étant le corps du message" (Halliday, 1971, 161), peut recevoir une définition plus large que le thème. Nous avons proposé de dire que le support informatif n'est pas seulement ce au sujet de quoi le locuteur dit quelque chose, mais ce à propos de quoi le locuteur dit quelque chose.
"Le fait de remplacer «au sujet de» par «à propos de» dans la définition du support vise à élargir le sens de cette notion; car le signifié «à propos de» peut présenter deux effets de sens différents et prendre soit le sens général de «à l'occasion de» soit le sens plus restreint de «ai sujet de»" (Touratier, 1993, 50), et être ainsi ce que l'on pourrait appeler d'une part le cadre du message et d'autre part le thème proprement dit du message.
Ce à quoi le contenu du message est accroché peut en effet n'être que l'indication d'un temps ou d'un lieu, qui fixe le cadre temporel ou spatial dans lequel le locuteur situe l'information qu'il entend transmettre et dans lequel seul ce qu'il dit peut être tenu comme vrai.
Exemples dans BSL 1993, 50-51
Mais le cadre de validité de l'énoncé peut être aussi notionnel, comme on le voit avec ce que Claude Guimier appelle "les adverbes de cadrage", qui "délimitent un champ référentiel, notionnel ou spatio-temporel, dans lequel
Linguistiquement, cet exemple est intéressant
Financièrement cette opération est un fiasco
Sexuellement, Marie n'est pas une affaire (d'après Guimier, 1996, 143-146) ou des "adverbes d'habitude", comme dans
Normalement, Pierre se lève à 7 heures
Habituellement, ils partent en vacances début août (d'après Guimier, 1996, 153-154) C'est le cas aussi, bien sûr, des syntagmes prépositionnels, comme dans cet extrait d'un chapitre sur l'Inde:
"Sin fils Rajiv <= le fils d'Indira Ganhi>, qui lui succède, va multiplier les réformes
libérales destinées à ouvrir l'économie sur le marché.
Sur le plan industriel, on abandonne le régime qui subordonnait le secteur privé à des
autorisations administratives.
Les grands groupes se lancent dans de vastes investissements qui transforment le
paysage de l'Inde: moto, TV, couleurs…
Sur le plan financier, c'est l'expansion du marché boursier et des banques d'affiares qui
canalise une épargne abondante non plus vers le secteur d'Etat mais vers les grands
groupes.
Sur le plan extérieur, l'Inde s'ouvre au monde en réduisant toutes les interdictions
complexes d'importer et d'exporter. Les investissements étrangers, notamment japonais,
connaissent alors une phase d'expansion rapide." (d'après Terran, 2002, 68) où les trois cadres notionnels apparaissent chacun en début de paragraphe. On retrouve ainsi les trois applications que Bernard Pottier admettait pour une même représentation , à savoir l'application spatiale, l'application temporelle et l'application notionnelle (cf. Pottier, 1962, 125-127).
On remarquera que dans tous les exemples qui viennent d'être cités, le support informatif, qui donne le cadre du message, est fourni par un constituant qui, au point de vue syntaxique, est une expansion de la proposition qui le suit, fonction syntaxique à laquelle on a pu donner le nom d'extraposition ou de constituant disloqué. C'est lorsque ce à propos de quoi le locuteur donne une information est directement concerné par celle-ci que le support informatif est le thème, c'est-à-dire ce au sujet de quoi le locuteur dit quelque chose. Cela n'arrive pas seulement quand la phrase du locuteur est minimale et ne contient pas d'expansions, c'est-à-dire quand le support informatif est fourni par un sujet syntaxique. Il peut en effet arriver que le support informatif ne soit pas le sujet syntaxique et soit néanmoins le thème de l'énoncé, comme dans des phrases du type de
Ce garçon, mon frère le connaît bien
Ce garçon, je l'ai rencontré hier soir.
Contrairement à ce que pense un certain nombre de linguistes américains, il ne faut pas identifier le support de l'énoncé à un élément d'information qui n'est pas nouveau pour l'interlocuteur, s'il est fréquent que le support reprenne des informations de la phrase précédente.
Exemples dans BSL 1993, 51-52
Quant à l'apport, il "représente ce que le locuteur dit à propos du support, et non pas seulement «ce qui est dit de
Lyons, 1970, 257). On peut dire également, avec Marie-Christine Hazaël-Massieux, que l'apport est «l'information principale» de l'énoncé, et le support «ce qui permet le passage de l'information principale» (Hazaël-Massieux, 1977, 157)" (Touratier, 1993, 52).
"L'apport présuppose théoriquement l'existence d'un support auquel il se rattache donc. Mais… " (cf. BSL 1993, 52)
Le chat mange. Pierre est médecin. Qu'il s'en aille m'importe peu De Bernard Pottier (1967, 19). Mais en s'intéressant à des énoncés plus complexes, énoncés oraux ou écrits, on a bien été obligé de constater que les deux seuls termes des couples informatifs ne suffisaient pas. On a parlé de rappel de thème ou de "complément explicatif" (Galand, 1964, "L'énoncé verbal en berbère, Etude de fonctions", in: CFS 21, 49) à propos de phrase française ou berbère comme
Il a labouré, l'homme (berbère: ikrz urgaz traduit par "il (à savoir:) l'homme a labouré"
(Galand, 1964, 49) en confondant alors fonction syntaxique et fonction informative. On a aussi parlé de postrhème, à propos de phrases comme
lui, il était petit, l'grand-père, hein analysée en un préambule (lui), un rhème (il était petit) et un postrhème (l'grand-père hein) (cf. Morel, Danon-Boileau, 1998, 22), ou de suffixe, avec Claire Blanche-Benveniste, à propos du constituant final de phrases comme
et alors le comte il l'emmène dans un arbre œ le singe
«Vous le saurez bien assez tôt» il nous disait toujours (Blanche-Benveniste, 1997, 121). Postrhème avait l'avantage d'être un terme à l'organisation informative, et suffixe l'inconvénient de donner un sens informatif ou syntaxique à un terme proprement morphologique, le suffixe désignant "par analogie avec la structure du mot, <…> un élément de l'énoncé placé après le noyau", ce dernier désignant "la partie de l'énoncé offrant une autonomie intonative et syntaxique (équivalent au comment de la terminologie américaine)" (Blanche-Benveniste, 1997, 159). Jean Perrot a eu la bonne idée de proposer le terme de report, ce qui permettait de faire une belle triade informative: support, apport et report.
Définition: BSL 1993, 54
Le terme de support a cependant l'inconvénient d'être lié au phonétisme la langue française et de ne pas présenter d'équivalent en anglais par exemple. Mais Dik avait proposé un terme anglais qui a un sens très proche et pourrait servir d'équivalent. Il s'agit du mot tail [teil], qui signifie proprement «queue» et désigne les constituants qui, comme une idée ajoutée après coup à la prédication (as an 'afterthought' to the predication), présentent une information destinée à clarifier ou à modifier (un constituant contenu dans) la prédication" (d'après Dik, 1978, 153). Dik admettait 4 sortes d'unités informatives qu'il appelait "fonctions pragmatiques", à savoir "Theme and Tail, and Topic and Focus" (Dik, 1978, 15). Le Theme correspond à peu près à notre cadre, le Tail à notre report, le Topic à notre thème proprement dit et le Focus à notre apport; mais le Theme et le Topic ne sont pas considérés comme deux variantes d'un support.
Exemple: BSL 1993, 54
As-tu donc peur qu'il ne s'en aille, loin de la ville, à cause de cet intérêt que tu lui demandes? Toi qui as maintenant la possibilité de recouvrer la capital (P. Grimal, d'après Plaute, Most. 597-599)
2. Décomposition des unités de base: Si nos trois types d'unités informatives suffisent pour décrire la structuration informative du message, on voit bien lorsque le message est véhiculé par un énoncé relativement complexe qu'il y a, comme l'avait signalé Firbas des dégrés dans l'apport d'information comme dans le support. Par exemple si tout est apport informatif dans la première partie de la phrase de Plaute, on a l'impression que suivant les contextes situationnels (et aussi, comme on le verra, suivant l'organisation syntaxique) le SPrép à cause de cet intérêt que tu lui demandes est plus informatif que plus informatif que le SPrép loin de la ville, ou l'inverse. Bref, il y a alors dans l'apport du message une partie qui est plus rhématique et que Firbas appelait le Rhème propre.
Pour rendre compte de cette graduation à l'intérieur des unités informatives de base, on peut admettre que chacune de ces unités de base est susceptible de se décomposer en unités plus petites d'une triade informative de deuxième niveau, et que chacune de ces unités informatives plus petites de deuxième niveau peut à son tour se décomposer en unités plus petites encore d'une triade informative de niveau inférieur, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de décomposition possible. Pour qu'il soit plus facile d'appréhender ces différentes décompositions, on représentera graphiquement les supports à l'intérieur d'un cartouche, les apports à l'intérieur d'un rectangle en traits pleins, et les reports à l'intérieur d'un rectangle en pointillés, et la dimension de ces figures indiquera le niveau de décomposition, une décomposition de niveau inférieur correspondant à des figures de taille plus petite inscrites à l'intérieur des figures de taille plus grande des unités du niveau directement supérieur.
a. Décomposition d'un apport: Ager rubricosus <...>, ibi lupinum bonum fiet (Cato, agr. 3,2) «Dans un sol rouge, là, le lupin poussera bien»
BSL 1993, 55-56
Aix, cette charmante ville du Midi, mes amis, qui ont beaucoup voyagé, la connaissent fort bien Analyse générale de la phrase:
BSL 1993, 56
Analyse du support de l'apport de l'énoncé:
BSL 1993, 57
Analyse du support de l'énoncé:
BSL 1993, 57
c. Décomposition d'un report: une phrase à tiroirs: Les Helvètes, surpris par l'arrivée soudaine de César, comme ils voyaient que la traversée de la rivière qu'ils avaient eu beaucoup de mal à faire en vingt jours, lui l'avait faite en un seul jour, dépêchent une ambassade auprès de César, ambassade dont le chef était Divico, l'homme qui avait été à la tête des Helvètes dans la guerre contre Cassius (d'après Caes., Gall. 1,13,2)
Analyse de toute la phrase: Comment la phrase se prononcerait-elle? Rattacher l'apposition au SN Les Helvètes? Rattacher la temporelle à ce qui précède ou à ce qui suit? Les deux appositions de la fin sont-elles au même niveau? Cette "période" a au moins trois membres, semble-t-il:
Les Helvètes, surpris par l'arrivée soudaine de César, //
comme ils voyaient que la traversée de la rivière qu'ils avaient eu beaucoup de
mal à faire en vingt jours, lui l'avait faite en un seul jour, /
dépêchent une ambassade auprès de César, // ambassade dont le chef était Divico, / l'homme qui avait été à la tête des Helvètes dans la guerre contre Cassius Analyse du report
BSL 1993, 58 Problème de la relative épithète (ou déterminative), qui est donc différente de la relative apposée (ou explicative)
3. Construction de la structuration informative: Principes: On admettra que l'identification des unités informatives et de leurs propres constituants repose pour une large part sur l'identification de la structuration syntaxique de l'énoncé véhiculant le message. Mais ceci suppose au moins deux choses: d'abord qu'on prenne en compte tous les constituants de la phrase, en identifiant explicitement leur fonction syntaxique, et deuxièmement qu'on ait une conception et une définition syntaxique, c'est-à-dire constructionnelle, de ces différentes fonctions syntaxiques.
La grammaire scolaire, et souvent les linguistes à sa suite, ne semblent s'intéresser qu'à certains constituants de la phrase quand ils identifient les fonctions syntaxiques.
• La grammaire scolaire
Elle se limite aux fonctions qui lui paraissent directement en relation avec le verbe (comme si toute phrase était forcément verbale!), c'est-à-dire les fonctions de sujet, de complément d'objet, d'attribut et de complément circonstanciel, ainsi qu'aux fonctions en relation avec les constituants de ces fonctions principales comme les fonctions d'épithète, d'apposition, de déterminant ou de complément du nom. Et les grammairiens sont quelque peu gênés quand un constituant ne remplit pas l'une de ces fonctions syntaxiques. C'est ainsi qu'Huguette Fugier, qui, dans un étude sur vocatif latin, rappelle "l'opinion bien représentée depuis l'Antiquité, suivant laquelle le vocatif serait «hors-phrase»" (Fugier, 1985, 105), distingue pour sa part deux emplois du vocatif: "ceux qui s'ancrent sur un constituant de la Phrase adjointe" (Fugier, 1985, 106), comme dans
Ad mortem te, Catilina, duci iussu consulis iam pridem oportebat (Cic., Catil. 1,2) «Toi,
Catilina, c'est à la mort,sur l'ordre du consul, que depuis longtemps il aurait fallu te
mener» (E. Bailly) Et "ceux qui, privés de tout ancrage, se trouvent simplement juxtaposés à une Phrase adjointe" (Fugier, 1985, 106), comme dans
Dux inclute Teucrum, nulli fas casto sceleratum insistere limen (Verg., Aen. 6, 542-563)
«Illustre chef des Troyens, les lois divines interdisent à l'homme pur de franchir ce seuil
de scélératesse» (A. Bellessort). Elle reconnaît alors que "ces derniers n'entretiennent avec la phrase adjointe que des rapports de convenance sémantique et stylistique dus à la contrainte de cohérence sur le sens de l'ensemble vocatif + Phrase adjointe, aussi bien qu'aux contraintes sociales qui interdisent d'interpeller n'importe qui n'importe comment en n'importe quelle situation de discours" (Fugier, 1985, 106). Ils sont donc hors phrase et hors syntaxe. Par contre, elle montrera, à propos du premier type d'emploi, qu'il convient de "le réintégrer «en phrase»".
La grammaire scolaire parle alors volontiers d'apostrophe ou de mise en apostrophe, en précisant que le mot mis en apostrophe "parfois <…> se présente au début, dans le cours ou à la fin d'une phrase; il est alors détaché du reste de la phrase par une ou plusieurs virgules, selon le cas:
Mes enfants, écoutez cette histoire.
Ecoutez, mes enfants, cette histoire.
Ecoutez cette histoire, mes enfants." (Bonnard, 1950, 12). La formulation de cette observation fort pertinente reste imprécise: l'apostrophe ainsi détachée de la phrase semble faire malgré tout partie de la phrase, puisqu'elle est dite détachée non de la phrase, mais du reste de la phrase.
Quand ce n'est pas une apostrophe, mais un autre constituant qui est ainsi détaché de la phrase ou du reste de la phrase, la grammaire scolaire s'évertue à le rattacher ou à l'assimiler à une fonction bien connue de la phrase simple. A propos d'une phrase comme
Cette décision, je la réprouve on nous dira par exemple que "Décision est complément d'objet direct de réprouve, comme la, qui le représente" (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 30). Et on nous expliquera que le complément d'objet "peut être placé en tête de phrase afin d'être mis en valeur, mais, dans ce cas il est rappelé par un pronom personnel" (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 30), sans bien voir que cela implique plus ou moins que le verbe réprouve a syntaxiquement deux compléments de verbe, à savoir cette décision et la, si sémantiquement il n'en a qu'un, puisque les deux constituants en question désignent la même chose. Mais si l'on veut éviter la difficulté de ce double complément d'objet, on pourra dire que l'anaphorique la est le véritable complément d'objet, et que le syntagme nominal cette décision est une apposition à ce complément d'objet. Pour cela il suffit d'admettre une définition souple de l'apposition et de dire par exemple avec La nouvelle grammaire du français qu'à partir d'une relative appositive comme
Le chat, qui est satisfait, ronronne on peut, en supprimant "le relatif qui et le verbe être, obt
Satisfait, le chat ronronne. L'adjectif satisfait, ainsi séparé par une pause du nom dont il dépend, est dit apposé ou mis en apposition à ce nom" (Dubois, Lagane, 1973, 106). Et l'on pourra aller jusqu'à dire, à propos du nom mis en apostrophe pour "attire
Charles, viens ici! que "c'est une apposition au sujet sous-entendu de la phrase impérative" (Dubois, Lagane, 1973, 160).
• Les linguistes
ordinairement ne font guère mieux que les grammaires scolaires sur ce point. Prenons deux exemples, celui de la Grammaire fonctionnelle de Simon Dik et celui de Jean Perrot. La Grammaire fonctionnelle distingue explicitement et méthodiquement un niveau logique et un niveau linguistique, en reconnaissant à tout énoncé une structure prédicative sous-jacente et une expression linguistique de cette dernière. La structure prédicative est une certaine combinaison de "prédications", une prédication étant "définie comme l'application d'un prédicat
Ceci correspond assez bien aux deux structurations qu'a distinguées Jean Perrot, que l'on pourrait appeler la structuration syntaxique ou structuration de l'énoncé, et la structuration informative ou structuration du message. Jean Perrot a en effet fort justement écrit:
"Les données linguistiques, les phrases réalisées, nous livrent la résultante de deux
structurations, syntaxique et informative; mais s'il est important de mettre en évidence
leur étroite imbrication, due au fait que l'énoncé fournit obligatoirement le moule dans
lequel est coulé le message, il est en revanche essentiel de traiter chacun de ces ordres
de faits dans sa structuration propre, avec une terminologie propre" (Perrot, 1978, 95). S'il est vrai que la structure informative du message, qui est différente de la structure logique de départ que Simon Dik appelle "la structure prédicative" (the prédicate-frames) comme de la structure logique d'arrivée que Noam Chomsky appelle la Forme Logique (FL) de l'énoncé, doit être distinguée de la structuration syntaxique de l'énoncé, contrairement à ce que pensait Tesnière, pour qui "comprendre une langue, c'est en transformer l'ordre linéaire en ordre structural" (Tesnière, 1966, 19), laquelle est donc suffisante, elle ne peut pas et ne doit pas être séparée de la structuration syntaxique, comme l'a justement observé Jean Perrot en parlant d'étroite imbrication. Or il nous semble que Simon Dik, et aussi du reste Jean Perrot, sont tentés de séparer quelque peu les domaines respectifs de ces deux structurations.
Cela paraît assez clair, en ce qui concerne la Grammaire fonctionnelle. Elle reconnaît quatre fonctions qu'elle appelle "pragmatiques", mais que l'on pourrait aussi bien appelé informatives: "à savoir le Thème et la Queue, le Topique et le Focus"; et elle précise:
"Seules ces dernières sont assignées à des constituants de la prédication propre. Les
deux autres sont censées caractériser des éléments extérieurs à la prédication: le Thème
est assigné à des constituants qui précèdent la prédication (ils sont souvent appelés des
constituants disloquée à gauche) et la Queue à des constituants qui suivent la prédication
(les constituants disloqués à droite). Je suppose par conséquent un schéma général de la
forme:
Thème, Prédication, Queue" (Dik, 1980, 15).
Si les fonctions informatives de Topique et Focus sont attribuées à des constituants de la prédication propre, c'est-à-dire minimale, qui par ailleurs se sont vus attribuer des fonctions syntaxiques, il semble bien que ce soit à des constituants qui n'appartenant pas à la prédication minimale ne reçoivent pas de fonction syntaxique que soient attribuées les fonctions informatives de Thème et de Queue. On a donc l'impression que les constituants disloqués à gauche ou à droite auxquels sont affectées ces fonctions informatives, sont plus ou moins hors syntaxe, ce que Simon Dik semble bien reconnaître quand il précise que
"le Thème et la Queue ont une signification pragmatique particulière et ne sont que
lâchement rattachés à la structure syntaxique et sémantique de la prédication en tant que
telle" (Dik, 1980, 16). De fait, ils ne se voient assigner aucune fonction syntaxique particulière.
Jean Perrot semble lui aussi plus ou moins rejeter hors de la syntaxe le constituant disloqué de "l'énoncé
Pierre, je l'ai vu " (Perrot, 1978, 95). Dans un tel énoncé, il voit, au niveau du message, "une certaine manière de thématiser" le constituant Pierre (Perrot, 1978, 95), et au niveau syntaxique, "un phénomène que Tesnière appelait projection (Tesnière, 1959, 172-173) et qu'il vaut mieux appeler plus clairement préjection,
"le constituant éjecté
telle sorte qu'il n'a plus lui-même aucune fonction syntaxique identifiable par rapport au
prédicat" (Perrot, 1978, 95). On remarquera l'ambiguïté ou la difficulté d'une formulation qui parle d'une position syntaxique hors syntaxe, ou de l'éjection hors de l'énoncé du constituant Pierre de l'énoncé Pierre, je l'ai vu.
• Notion de macro-syntaxe:
Pour mettre de l'ordre ou de la cohérence dans l'analyse, on a proposé de distinguer la macro-syntaxe de la syntaxe. La macro-syntaxe a été définie comme le "domaine des relations qu'on ne peut pas décrire à partir des rections de catégories grammaticales" (Blanche-Benveniste, et alii, 1990, 290), la "rection verbale" étant l'"ensemble des éléments, sujet et compléments, organisés syntaxiquement par le verbe" (Blanche-Benveniste, et alii, 1990, 290), ou encore comme
le "domaine des relations grammaticales correspondant en partie à ce que l'on a nommé
«la syntaxe détachée». Les relations de macro-syntaxe, qui peuvent s'étendre sur des
morceaux plus vastes que la «phrase» traditionnelle, ne peuvent pas être ramenées aux
notions de subordination ou coordination. Dans trois francs il réclame, trois francs est
syntaxiquement le complément de il réclame et en même temps, sur le plan de la macro
syntaxe c'est un élément «noyau», qui peut former à lui seul un énoncé autonome, avec une mélodie de fin d'énoncé" (Blanche-Benveniste, 1997, 159). Le concept de macro-syntaxe permet de dire que dans l'exemple
Pierre, je l'ai vu le constituant Pierre a une fonction macro-syntaxique de préfixe, celui-ci étant défini comme "l'élément de l'énoncé qui précède le noyau, analysé souvent d'un point de vue informatif comme le «topique» de l'énoncé" (Blanche-Benveniste, 1997, 159); et à ce titre, on comprend qu'il puisse être considéré comme hors syntaxe. Il n'a aucune des fonctions proprement syntaxiques de la tradition grammaticale. Il est autre chose que le complément d'objet du verbe j'ai vu, puisque cette fonction est occupée par le pronom anaphorique l(e), la macrosyntaxe étant bien, comme le dit Claire Blanche-Benveniste, "un au-delà de la syntaxe" (Blanche-Benveniste, 1997, 112). Mais les choses ne sont pas claires pour autant. Car on vit dans l'exemple analysé par Claire Blanche-Benveniste, que le constituant trois francs peut tout en relevant de la macro-syntaxe avoir une fonction syntaxique, puisqu'on nous dit qu'il est aussi le complément du verbe il réclame. La macro-syntaxe ne serait donc pas toujours un au-delà de la syntaxe". Et d'autre part, si c'est un au-delà de la syntaxe, n'est-ce pas encore de la syntaxe, puisqu'on l'appelle macro-syntaxe.
Ainsi plutôt que d'opposer la macro-syntaxe à la syntaxe tout court, il est préférable d'opposer, avec José Deulofeu, la macro-syntaxe à la micro-syntaxe. Car cela permettra de dire, de façon plus satisfaisante, que la syntaxe connaît des fonctions micro-syntaxiques, bien repérées par la grammaire traditionnelles, et des fonctions macrosyntaxiques, ignorées par la grammaire traditionnelle, qui, elle, ne s'intéresse qu'aux phrases de la norme scolaire. José Deulofeu définit de la façon suivante ces deux aspects de la syntaxe:
"On parlera donc de structure micro-syntaxique de l'énoncé pour référer à son organisation par les relations de rection (détermination, actance, prédication) et de structure macro-syntaxique de l'énoncé pour désigner son organisation par les relations qui le constituent comme message. Macro-syntaxe et organisation en message seront donc largement synonymes. La différence étant celle du point de vue dont on saisit les unités linguistiques: signifiant, pour macro-syntaxe, signifié, pour message" (Deulofeu, 2001, 138).
Et José Deulofeu s'est efforcé de montrer que les deux structurations de Jean Perrot correspondent à l'hypothèse macro-syntaxique (cf. Deulofeu, 2001, 133-138), la structuration informative en support, apport et report correspondant à l'organisation macro-syntaxique du GARS en préfixe, noyau et suffixe.
Pour ma part, je n'identifierai pas vraiment la structuration informative de Jean Perrot avec la macro-syntaxe de Claire Blanche-Benveniste, ni les fonctions informatives de support, apport et report avec les fonctions macro-syntaxiques de préfixe, noyau et suffixe, même si le préfixe est effectivement au niveau informatif un support, le noyau un apport et le suffixe un report. Car cela aurait l'inconvénient de tirer vers la syntaxe le concept de structuration informative, puisque la macro-syntaxe est encore de la syntaxe. Il convient, comme le remarque justement José Deulofeu, de bien voir que les fonctions informatives relèvent du signifié, et les fonctions macro-syntaxiques du signifiant, en se rappelant que s'il n'y a pas de signifié sans signifiant, le lien entre les deux est arbitraire. Il ne saurait donc y avoir de synonymie, même large, entre macro-syntaxe et organisation en message, contrairement à ce que prétend José Deulofeu.
Et si la structuration informative est, en soi, différente de la macro-syntaxe, on comprend qu'une phrase simple comme
Paul a salué Pierre tout en ayant une structure syntaxique (avec sujet et complément de verbe bien traditionnels!) qui ne relève pas de la macro-syntaxe, mais de la micro-syntaxe, soit structurée au niveau informatif en un support (Pierre) et un apport (a salué Jean). Par contre dans des phrases comme
Pierre, Paul l'a salué si le constituant Pierre est bien le support informatif de l'énoncé, et la construction Paul l'a salué son apport, seul le nom propre Paul a une fonction (micro-)syntaxique, à savoir celle de sujet; et Pierre ne peut avoir qu'une fonction macro-syntaxique. Le problème est de savoir laquelle; car la grammaire scolaire n'a pas de propositions ou n'a que de mauvaises propositions à faire, puisqu'elle dirait éventuellement que Pierre est le complément d'objet du verbe a salué, ou qu'il est une apposition au complément d'objet la.
Pour notre part, à la différence de José Deulofeu, nous ne dirons ni que c'est un support, ni que c'est un préfixe. Car dire que c'est un support, ce serait plus ou moins confondre les deux structurations, la structuration syntaxique et la structuration informative. Dire que c'est un préfixe, ce serait donner du crédit au concept de morpho-syntaxe, en suggérant qu'il y a des affinités voire des mélanges possibles entre la syntaxe et la morphologie. Nous avons proposé, à la suite de certains auteurs générativistes et à la suite de Jespersen d'appeler extraposition la fonction de ce nom propre détaché du reste de l'énoncé. Jespersen a en effet écrit, au chapitre 12 "Apposition et extraposition" de La syntaxe analytique:
"L'extrapostion est un phénomène analogue à l'apposition dont nous avons donné des
exemples au chapitre 4: un mot ou un groupe de mots se trouve placé en quelque sorte
hors de la phrase, comme s'il n'y appartenait pas. Lorsqu'on parle, l'extraposition se
manifeste souvent par une pause, représentée dans l'écriture par une virgule ou un tiret,
et parfois par un point ou un point virgule.
Angl. Zionism what is that to me? «Le sionisme qu'est-ce que cela peut me faire?»
The rain it raineth every day «La pluie elle tombe tous les jours»
Fr. «La dame qui vient d'entrer, la connais-tu?» Al. Die Sterne, die begehrt man nicht? «Les étoiles, on ne les désire pas» It. I piccoli debiti bisogna pagarli «Les petites dettes il faut les payer»" (Jespersen,
1971, 71). Dans notre article de 1977 sur les fonctions syntaxiques, nous en avons donné une définition proprement syntaxique, en disant que
"L'extraposition a <…> en commun avec le sujet d'être un C.I. de P, mais elle se distingue du sujet dans la mesure où elle entre dans une construction endocentrique, c'est-à-dire une construction qui appartient à la même classe que l'un de ses C.I., alors que le sujet appartient à une construction exocentrique" (Touratier, 1977, 39).
Quelle est la signification de cette fonction syntaxique d'extraposition? "Au point de vue sémantique, le constituant extraposé contient <…> le thème de l'énoncé, c'est-à-dire ce çà quoi se rattache l'information véhiculée par le reste de la phrase. C'est le cas du moins quand il est placé en tête de phrase. Car lorsqu'il est rejeté en fin de phrase, il véhicule une information accessoire que nous appellerons report" (Touratier, 1994, 344).
S'il est important, pour construire la structuration informative d'une phrase, de bien identifier toutes les fonctions syntaxiques qui la constituent, il est aussi fondamental d'en avoir une conception vraiment syntaxique, c'est-à-dire constructionnelle, ce qui n'est pas le cas d'un certain nombre d'analyses prétendument syntaxiques de la grammaire traditionnelle.
• problème du sujet réel et sujet apparent:
Dans des phrases avec verbe impersonnel comme Il lui arrive une aventure extraordinaire. Il court des bruits fâcheux.
la grammaire scolaire "distingue le sujet apparent et le sujet réel. Le sujet réel, placé après le verbe, fait ou subit l'action indiquée par le verbe. Le sujet apparent est un pronom (il ou ce) qui, placé avant le verbe, ne joue pas d'autre rôle que celui de laisser prévoir le sujet réel: Il sujet apparent de arrive; aventure, sujet réel de arrive. Il, sujet apparent de court; bruits, sujet réel de court" (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 25). Sans plus d'explications, l'analyse paraît plutôt surprenante. Mais il est possible de présenter les choses d'une façon plus compréhensible:
"dans la phrase Il manque deux cartes, le pronom il occupe la place du groupe du nom sujet déplacé après le verbe; il a le rôle d'anticipant: DEUX CARTES manquent → IL manque deux cartes. On dit que il est le sujet apparent de manque, qui est au singulier, et que deux cartes est le sujet réel du verbe" (Dubois, Lagane, 1973, 80).
En réalité, les prétendus sujets réels n'ont pas du tout une configuration constructionnelle de sujet. Ce ne sont pas des constituants immédiats de P exocentrique. Ils forment une unité syntaxique avec le verbe qui les précède, exactement comme le complément dit d'objet. Ce sont donc des constituants immédiats de SV. Mais le SV auquel ils appartiennent a deux particularités. D'abord une particularité syntaxique: il n'a pas besoin de se combiner avec un SN pour constituer une phrase, à la différence du syntagme verbal demande deux cartes, qui doit se combiner avec un SN comme le joueur ou un nom propre comme Paul pour former les phrases:
Le joueur demande deux cartes
Paul demande deux cartes. Il a aussi une particularité morphologique: le lexème verbal doit présenter une variante qui ajoute à son signifiant /mãk/ le segment morphologique /il/ pour fonctionner comme la phrase acceptable
Il manque deux cartes. Car
*manque deux cartes n'est pas acceptable.
• problème des pronoms personnels dits sujets:
D'autre part la grammaire scolaire reconnaît la fonction de sujet à tous les pronoms personnels de Je demande deux cartes, Tu demandes deux cartes, Il demande deux cartes, etc. On peut en effet lire dans les grammaires: "Les pronoms inaccentués de:
Je comprends son émotion. Tu ne m'as rien dit. Il n'a pas entendu. Elle n'est pas venue. Ils sont partis.
Et les pronoms accentués de:
Moi, j'agirai autrement. Toi, tu as oublié. Lui, il n'a rien su. Elle, elle n'a pas vu. Eux, ils ne t'ont pas cru.
ont la fonction de sujet (d'après Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 50)
"Dans les phrases:
JE suis venu ce matin. ON part demain pour la campagne,
les pronoms je et on jouent le même rôle syntaxique qu'un groupe du nom; ils sont les
sujets de la phrase. Mais ce groupe du nom n'a pas été exprimé et ne le sera pas. Les
pronoms je et on désignent des personnes qui participent à la communication" (Dubois,
Lagane, 1973, 81. Mais cette dernière grammaire observe très justement les
"Différences et ressemblances entre les pronoms et les groupes du nom. <…> Ils n'ont
pas la même syntaxe que les groupes du nom; ainsi les pronoms personnels compléments sont placés avant le verbe (en général), alors que les groupes du nom compléments sont placés après le verbe: Je regarde LE PAYSAGE → Je LE regarde." (Dubois, Lagane, 1973, 84).
On pourrait aller encore plus loin et dire que si on ou je dans
ON part demain pour la campagne, JE pars demain pour la campagne commutent, à la différence orthographique près, avec un groupe nominal comme le garçon ou Paul:
Le garçon part demain pour la campagne, Paul part demain pour la campagne ils n'en ont pas pour autant le même rôle, au point de vue syntaxique, si ils semblent en avoir le même rôle sémantique de celui qui fait l'action de partir. Car ces pronoms dits sujets ne sont pas du tout séparables du verbe de la phrase. Comme nous l'avons signalé dans notre article sur les fonctions syntaxiques du BSL, 1977, 38, ne peuvent pas recevoir d'apposition, que ce soit un adjectif apposé ou une relative dite explicative
*On, toujours aussi impatient, part demain pour la campagne *Il, qui est mon voisin, part demain pour la campagne
contrairement à ce qui se passe pour un SN ou un nom propre sujet Paul, toujours aussi impatient, part demain pour la campagne Paul, qui est mon voisin, part demain pour la campagne.
Ces prétendus pronoms sujets ne peuvent pas être séparés du verbe par un adverbe *On effectivement part demain pour la campagne *Il effectivement part demain pour la campagne
en face de Paul effectivement part demain pour la campagne Le garçon effectivement part demain pour la campagne.
Denis Creissels a également observé que le morphème aussi concrétisait "la limite entre deux positions structurelles distinctes: celle du constituant nominal sujet (qui admet moi, toi ou lui mais pas je, tu ou il) et celle de l'indice de sujet (ici: je, tu, il)" (Creissels, 1995, 26), grâce à la suite d'exemples suivante:
MICHEL aussi viendra LUI aussi (IL) viendra *IL aussi viendra TOI aussi TU viendras
*TOI aussi viendras *TU aussi viendras MOI aussi JE viendrai MOI aussi JE viendrai
*MOI aussi viendrai *JE aussi viendrai (Creissels, 1995, 26).
Ces faits de fonctionnement s'expliquent fort bien si l'on admet que ces prétendus pronoms ne se combinent pas avec un SV, comme le fait tout SN sujet, mais avec le seul verbe, ou, en d'autres termes, que je et on ne sont pas des constituants immédiats de P, mais des constituants immédiats de V. Comme nous le disions dans notre article du BSL
"Tout ceci revient à dire que je dans je connais ce garçon a exactement la même
position structurale que la désinence verbale -o dans lat. Istum puerum nosco,
l'antéposition qui entraîne l'apparition d'un mot en français et la postposition qui
entraîne une désinence en latin n'étant que des nécessités morphologiques de la mise en
ordre linéaire de l'ordre structural" (Touratier, 1077, 38). Denis Creissels proposait de ne plus appeler pronoms personnels les morphèmes comme je, il ou on, mais "indices pronominaux" du verbe (cf. Creissels, 1995, 27). Nous préférerions dire "indices personnels", dans la mesure où ces morphèmes ne tiennent pas la place de noms "qu'il eût été importun de répéter", comme le disait la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, mais renvoient aux instances de la situation énonciative. Si donc ces indices personnels (ou pronoms personnels clitiques ou pronoms conjoints de la tradition grammaticale) et si les sujets dits réels ne remplissent pas la fonction syntaxique de sujet, il n'est pas surprenant qu'ils ne jouent pas le même rôle dans la structuration informative de l'énoncé que les véritables sujets syntaxiques. Et même il ne faut surtout pas chercher à leur attribuer le même rôle informatif, puisqu'ils n'ont pas la même syntaxe.
Fonder la structuration informative sur l'organisation syntaxique suppose que les unités syntaxiques jouent un certain rôle informatif et implique plus ou moins que la structuration informative ne disloque pas les unités de la structuration syntaxique. Ainsi le morphème clitique de personne tu, qui, comme on vient de le voir, n'est pas un sujet syntaxique, mais fait partie de la construction qui a pour noyau le verbe avoir peur dans
as-tu donc peur qu'il ne s'en aille, loin de la ville ne sera pas séparé de la construction dont il est un des constituants, pour être considéré comme le support informatif par rapport auquel le reste de cette construction verbale discontinue as… peur qu'il ne s'en aille, loin de la ville serait un apport. La phrase sans sujet syntaxique que forme le SV auquel appartient cette construction verbale sera donc considérée comme ne présentant qu'un apport informatif. Certes la propriété sémantique signifiée par ce SV doit être appliquée à l'interlocuteur, qui est rappelé par le morphème personnel tu. Mais le support de cet apport informatif ne reçoit aucune expression linguistique: il est simplement fourni par la situation é